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lundi 28 janvier 2013

Haren Das : Eloge des femmes

Terrasse

Haren Das : "J'étais fasciné par l'image de la femme, non pas en tant que modèles de sensualité mais plutôt en tant que collaboratrices efficaces agissant pour le maintien d'un tissu économique viable et autonome dans les zones rurales du Bengale. Elles ne s'occupent pas seulement des tâches domestiques mais sont de véritables partenaires pour les hommes dans des activités aussi variées que la pêche, l'agriculture, le moissonnage ou dans le soin des animaux de la ferme."

Les rémouleurs, 1959


Préparation du repas


Couple heureux, 1955

La traite

Pêche à la lanterne

A l'heure du midi


Le décorticage du riz

Apprentissage

samedi 26 janvier 2013

Amrita Sher-Gil : Mort d'une icône

Amrita Sher-Gil


Traduction de l'extrait d'un article par le journaliste et écrivain Khalid Hasan paru dans le Friday Times au Pakistan :

"Un mystère a toujours entouré la mort d’Amrita. Est-elle morte d’un empoisonnement alimentaire (elle avait été prendre un thé à la maison des Abdul Qadir où elle avait mangé des pakora [beignets] qui ne passèrent pas) ou de quelque chose de plus sinistre ? Khushwant Singh [1] – comme à son habitude – n’a pas écrit sur elle de manière très aimable. Il affirme que son décès fait suite à un avortement réalisé par son mari de manière bâclé : une plaie se serait infectée provoquant une hémorragie importante. Victor [2] n’a sollicité d’aide que lorsqu'il fut trop tard. Y. Dalmia écrit que Helen Chaman Lal a trouvé Amrita en train d'agoniser. Deux médecins, Dr. Sikri et Dr. Kalisch, un allemand, furent demandés d’urgence et constatèrent qu'une péritonite s’était déclarée et que les intestins étaient perforés. Autour de minuit, le 5 Déc. 1941, Amrita Sher-Gil décéda.
Son père et sa mère, qui étaient à Simla, arrivèrent précipitamment à Lahore le 7 Décembre. Son père écrivit dans une lettre, « le corps d’Amrita a été transporté dans un crématorium. Ces doigts qui avaient peint et ce cerveau qui avait imaginé ses œuvres, recevant leur inspiration de l’Esprit éternel, retournaient aux éléments de la terre sous nos yeux. Elle avait été conçue à Lahore et la mort semblait avoir conspiré avec la vie pour libérer son esprit de sa chrysalide dans cette même ville."
Iqbal Singh [3], qui apparemment avait succombé aux charmes de la belle et émancipée Amrita, écrivit : « Le corps d’Amrita avait été placé dans un corbillard noir. Il était recouvert d’un châle en Cachemire. Au dernier instant, quelqu’un constata qu’aucune disposition n'avait été prise pour disposer des fleurs sur le corps. Des amis, qui possédaient un jardin dans leurs maisons, coururent en chercher quelques unes. Il n’y avait guère de monde – à peine 30 ou 40 personnes - presque tous assis dans leur voiture. Aussi, le cortège se fraya un chemin rapidement à travers les bazars, dépassa la mosquée Badshahi et le fort de Lahore puis atteignit les ghats [4] situés sur la rive gauche de la Ravi. Une courte cérémonie religieuse selon le rite sikh fut célébrée… Le dernier rituel fut accompli par le père d’Amrita, Umrao Singh. Pendant que je regardais assis le corps de cette belle et élégante Amrita se consumer dans le brasier, je me rappelais m’être dit après l'avoir vu la première fois : « Nous ne reverrons jamais quelqu’un comme elle. »
Amrita ne fait plus qu’un avec la terre de Lahore. Quelle tristesse de constater qu’en cette ville où elle a choisi de vivre, il n’y ait personne pour avoir songé à élever un mémorial en son honneur ou ne serait-ce qu'apposer une simple plaque commémorative à l'endroit où elle vécut, au 23 rue Sir Ganga Ram, en souvenir de cette artiste-peintre qui a laissé sa marque dans un monde où elle n'était destinée à y séjourner que pour un laps de temps très court.[5]"

[1] Journaliste et écrivain
[2] Victor Egan, cousin et mari d'Amrita. Il était médecin.
[3] Journaliste et auteur d'une biographie d'Amrita Sher-Gil
[4] Les ghats sont les escaliers situés sur le bord des cours d'eau, des fleuves...
[5] Amrita, née en 1913 à Budapest d'un père sikh et d'une mère hongroise mourut à l'âge de 28 ans, laissant derrière elle une œuvre picturale majeure dans l'histoire de l'art en Inde. Amrita passe pour avoir introduit la modernité dans la peinture indienne avec des influences provenant du fauvisme, de l'art abstrait, du cubisme...

Auto-portrait avec chevalet

Nu couché, Amrita Sher-Gil

vendredi 25 janvier 2013

Gravures de Haren Das - Poèmes de Tagore


Les images de Haren Das et la poésie de Rabindranath Tagore évoquent les paysages du Bengale, la vie quotidienne des villageois, le labeur des paysans, les émois de l'âme au contact des merveilles de la nature ou à la vue d'une jeune beauté entraperçue par hasard dans l'intimité de son foyer ou au détour d'un chemin de campagne. Voici, les deux artistes réunis :


Après la pluie

Si paresseusement tu veux rester assise et laisser ta cruche flotter sur l'eau, viens, ô viens à mon lac.
La pente d'herbe est verte et plus loin les fleurs sauvages poussent nombreuses.
Tes pensées émigreront de tes yeux sombres comme des oiseaux de leurs nids.
Ton voile tombera à tes pieds.
Si tu dois rester oisive, viens, ô viens à mon lac.
Jeune servante
Paresseuse, pourquoi restes-tu là à jouer avec tes bracelets ?
Remplis ta cruche, il est temps pour toi de renter.

Paresseuse, pourquoi de tes mains agites-tu l'eau,
tandis que ton regard capricieux s'amuse à chercher
quelqu'un sur la route.
Remplis ta cruche et rentre à la maison.

Palash

J'avais oublié de tresser mes cheveux.
La brise nonchalante s'y jouait sur ma joue.
La rivière coulait tranquille sous sa rive ombragée.
Les blancs nuages paresseux ne bougeaient pas.
J'avais oublié de tresser mes cheveux.


Le village dormait dans la chaleur de midi.
La route était déserte.
Par accès soudains le bruissement des feuilles s'élevait puis s'évanouissait.
Je regardais le ciel et, tandis que le village dormait dans la chaleur de midi,
je tissais dans le bleu les lettres d'un nom aimé.


Viens comme tu es ; ne t'attarde pas à ta toilette.
Si la tresse de tes cheveux s'est défaite, si ta raie n'est pas droite,
si les rubans de ton corset ne sont pas attachés, qu'importe ?
Viens comme tu es ; ne t'attarde pas à ta toilette.
Mon coeur, oiseau du désert, a trouvé son ciel dans tes yeux.
Ils sont le berceau du matin, ils sont le royaume des étoiles.
Leur abîme engloutit mes chants.
Dans ce ciel immense et solitaire laisse-moi planer.
Laisse-moi fendre ses nuages et déployer mes ailes dans son soleil.

Deux sœurs
Quand les deux sœurs vont puiser de l'eau, elles viennent ici et sourient.
Elles se doutent qu'il est là derrière les arbres, chaque fois qu'elles vont puiser de l'eau.

Les deux sœurs se chuchotent à l'oreille quand elles passent par ici.
Elles ont deviné le secret de celui qui est là derrière les arbres chaque fois qu'elles vont puiser de l'eau.

Leurs urnes se penchent subitement et l'eau se répand quand elles arrivent ici.
Elles ont découvert qu'un cœur bat, derrière les arbres, chaque fois qu'elles vont puiser de l'eau.

Les deux sœurs se regardent et sourient quand elles viennent ici.
Leurs petits pieds rapides semblent rire. Il est tout confus celui qui est là derrière les arbres chaque fois qu'elles viennent puiser de l'eau.

Sur les rivages de mondes sans fin des enfants s'assemblent. Le ciel infini s'étend immobile sur leur tête, mais les flots toujours mouvants sont houleux. Les enfants s'assemblent sur les rivages de mondes sans fin, avec des cris, avec des danses.
Ils se construisent des maison de sable, ils jouent avec des coquillages vides. Quelques feuilles flétries sont pour eux des bateaux, qu'avec un sourire ils regardent flotter sur l'immensité profonde. Des enfants s'ébattent sur les rivages des mondes sans fin.


Source : Extraits de poèmes de Tagore tirés de "Le jardinier d'amour", Poésie/Gallimard

jeudi 24 janvier 2013

Bibi ka Makbara : Le mausolée de la Dame

Le Taj Mahal ? Non. Bibi ka Makbara


Bibi ka Maqbara (« Le mausolée de la Dame ») fut édifié à Aurangabad, dans l’état du Maharashtra, à la fin du XVIIe siècle par le prince Azam Shah à la mémoire de sa mère Rabia Dawrani, la première épouse  de l’empereur Aurangzeb.
Le mausolée est également surnommé « le Taj Mahal du pauvre ». A l’origine, il devait rivaliser avec l’illustre monument érigé à Agra par le souverain Shah Jehan en l’honneur de sa bien-aimée épouse défunte Mumtaz Mahal. Mais le manque de ressources financières limitèrent les ambitions du prince qui dut se contenter d’un édifice aux dimensions, luxe et raffinement plus modestes que ceux du Taj Mahal.
Le mausolée est situé dans un jardin clos de 410 X 245 mètres. Comme le Taj Mahal, son architecture est basée sur une forme octogonale. L’entrée s’effectue par quatre porches voûtées (iwan) situées sur chaque façade. Un énorme dôme bulbeux chapeaute le bâtiment. Quatre pavillons (chhatri), situés aux angles supérieurs du bâtiment, resserrés entre le dôme central et les pinacles effilés, dressent leurs structures aux coupoles surdimensionnées. Le monument, par l’exiguïté des murs flanquant les entrées principales, dégage une impression d’étroitesse et de resserrement.  Les minarets placés aux quatre coins de la terrasse sont octogonaux, contrairement à ceux du Taj Mahal qui sont ronds.
Le marbre utilisé pour la construction provient des carrières de Jaipur. Le voyageur Tavernier dans ses mémoires nous raconte qu’il vit quelque trois cents chariots, alourdis par des plaques de marbre et tirés par une trentaine de bœufs, s’acheminer sur la route allant de Surat à Golconde.
Certaines sources attribuent l'initiative de l’édification du mausolée à Aurangzeb lui-même plutôt qu'à son fils. Quoi qu’il en soit, le Taj Mahal et le Bibi ka Maqbara sont des témoignages d’amour et de respect uniques au monde, adressés par des hommes à la mémoire des femmes de leur vie. Et cela de surcroît par des hommes qui appartenaient à une religion, l’Islam, perçue de nos jours comme misogyne.

Coupole


Entrée ajourée


Tournesols

mardi 22 janvier 2013

Amrita Sher-Gil : Icône de l'art indien



Bramachari



Amrita Sher-Gil est une figure iconique de l'art indien. Elle fait partie de ces artistes, au talent insolent, qui en quelques années parviennent au sommet de leur créativité, puis disparaissent emportés par une mort brutale qui les fait entrer directement dans la légende.
Belle, douée, excentrique, elle scandalisa la société anglaise guindée de Simla par sa vie émancipée, ses frasques amoureuses, sa bisexualité, son attachement à peindre le petit peuple de l'Inde. Même sa mort prématurée, à l'âge de 28 ans, est entourée d'une odeur sulfureuse : elle aurait perdu la vie des suites d'un avortement bâclé réalisé pour camoufler une grossesse illégitime.

Amrita Sher-Gil naquit à Budapest en 1913, d'un père aristocrate sikh et d'une mère hongroise. Elle partagera son enfance et son adolescence entre l'Inde et les capitales européennes où grâce à sa mère, cantatrice, elle fréquentera les milieux artistiques. Elle fera ses études supérieures aux Beaux-Arts de Paris, mènera une vie de bohème et s'enthousiasmera pour le fauvisme. Elle éprouvera une fascination particulière pour Gauguin, dont on retrouvera dans son œuvre à venir ces larges aplats de couleurs vives caractéristiques des tableaux peints par le grand artiste en Polynésie.
Après son cursus, Amrita, âgé de 21 ans, s'installera définitivement en Inde où elle sent que l'attend sa vocation de peintre. Elle sillonnera intensivement le pays de long en large pour s'imprégner de son passé artistique et découvrira, bouleversée, les fresques d'Ajanta et de Cochin. Elle observera avec une attention particulière la population et décrira l'Inde comme  un pays "plein de corps sombres, de visages tristes, d'hommes à la maigreur effrayante et de femmes se déplaçant silencieusement comme de vagues silhouettes." Elle se fera un devoir de chercher "à interpréter la vie des indiens, particulièrement des plus pauvres et de reproduire sur ses toiles ces incarnations d'une soumission et d'une patience infinies."

A son retour à Simla, Amrita va se jeter à corps perdu dans la peinture et dans les mondanités, brûlant sa vie par les deux bouts. Elle va recouvrir ses toiles de tous ces personnages croisés au fil de ses pérégrinations : paysans, conteurs, ménestrels, diseurs de bonne aventure, vagabonds, chameliers, religieux qu'elle croquera dans des scènes rurales, villageoises ou domestiques. En quelques années, elle va réaliser une quantité impressionnante de tableaux, enrichir son tableau de chasse de conquêtes masculines - on prétendait qu'elle recevait jusqu'à trois ou quatre amants par jour à son domicile à intervalle de toutes les deux heures - , se marier avec un cousin de Hongrie contre l'approbation de ses parents, devenir une habituée des fêtes somptueuses données par la jet-set de Simla...
Dans le nombre phénoménal de tableaux exécutés par l'artiste, force est de constater que certains nous laissent une impression de précipitation et d’inachevé. Mais dans ses meilleures peintures, Amrita laisse éclater sa palette unique de couleurs, avec notamment ce rouge-ocre saturé ou ce blanc fascinant, qui combinés à une composition aux formes dépouillées et tournées vers l'abstraction, donnent naissance aux premières œuvres modernes de l'histoire artistique indienne. Et, on n'hésite pas à parler de chefs-d’œuvre pour ces admirables toiles que sont Brahmachari, Toilette de la mariée ou  Femme couchée sur un charpoy dont les scènes représentées, aussi anodines soient-elles, atteignent une telle puissance d'évocation par l'aura de mystère et de charme envoûtant qui s’en dégage, qu'elles transcendent leur banalité pour se hisser au niveau de drames et de tragédies antiques. Comme Gauguin, Amrita employait les couleurs non pour représenter  la réalité mais comme les expressions  visuelles de la charge émotionnelle contenue dans les personnages ou celle dégagée par les lieux.

L'oeuvre de Amrita Sher-Gil a été décrétée "trésor national" par le gouvernement indien dans les années 70 avec interdiction de vendre ses tableaux à l'étranger. Cet honneur a paradoxalement conduit à un effacement d'Amrita Sher-Gil de la scène artistique, ses œuvres échappant à toute velléité spéculative sur le marché de l’art international. Depuis peu, les choses changent avec l’émergence de toute une classe de nouveaux riches en Inde investissant dans l’art contemporain. En 2006, le tableau "Scène de village" fut vendu aux enchères à un  prix record de 1,6 million de dollars, une somme jamais atteinte pour aucune autre toile d'un artiste indien. Cette vente contribua à tourner à nouveau les projecteurs sur Amrita. Une biographie, particulièrement détaillée, par l'historienne Y. Dalmia fut publiée durant la même année. L’auteur s’efforce de nous montrer à quel point, par delà son image glamour, Amrita fut une artiste engagée qui s’efforça constamment par son œuvre de réduire le fossé séparant la nouvelle classe indienne éduquée en Occident de l’immense majorité pauvre qui l’entourait.
Dans cet engagement envers le peuple indien, il faut sans doute voir un sentiment de reconnaissance que Amrita devait éprouver envers le pays qui fut à la base de l’épanouissement de son art, comme elle l'écrivit dans une de ses lettres : « Dès que j’ai posé mon pied sur le sol indien, ma peinture a subi un changement non seulement dans les sujets traités et l’esprit mais également dans la technique. » Amrita Sher-Gil mourut en 1941 à Lahore.

Groupe de village, 1938
Toilette de la mariée, 1937

Femmes des montagnes, 1935
Chameaux, 1935


Trois filles, 1937
Le vieux conteur
Villageois du sud de l'Inde allant au marché, 1937


Femme sur un charpoy

Autoportrait en tahitienne, 1934


Amrita Sher-Gil

jeudi 17 janvier 2013

Haren Das : l'esthétique du quotidien


Colombier, Estampe. On relèvera la maîtrise de Haren Das dans le jeu subtil de la lumière et de l'ombre, dans la palette des couleurs avec ces teintes allant en s'adoucissant, pour parvenir à créer un champ de profondeur dans l'image


Le soir tombe. Le repas mijote doucement sur le feu. Un enfant, assis par terre, les jambes ramenées contre son corps, la tête reposant sur les genoux, observe distraitement sa mère qui s’affaire à la préparation du dîner. Dans une case voisine, on entend les pleurs d’un enfant. Les hommes rentrent des champs ou de la mer. Une troupe de théâtre itinérante improvise une estrade sur la place du village. Une épicerie de fortune, située à la lisière du village, allume ses lampes à pétrole au milieu des ténèbres enveloppantes.

Regarder les œuvres de Haren Das, c'est pénétrer au cœur des villages du Bengale, parcourir des paysages sereins, partir de bon matin aux labours ou au large en compagnie des hommes, s’asseoir le soir venu autour du feu pour une veillée d'histoires... L'artiste nous introduit sans bruit dans le quotidien des hommes et des femmes, parmi les plus humbles de la terre : des paysans, des pêcheurs, des sans-abri, des villageois, tous croqués sur le vif, dans des scènes pastorales, marines, ou domestiques. Les vignettes de Haren Das fixent des moments en apparence insignifiants. Il ne se passe. Le temps semble suspendu, n'ose plus avancer, sinon à pas feutrés, sans se faire remarquer. La vie s'écoule, paisible et douce, sans artifices ni complications, dans la répétition rassurante des traditions ancestrales. Dans cette évocation nostalgique d'une Bengale rurale, il faut sans doute voir l'empreinte qu'à pu laisser sur l'artiste le petit village agreste de Dinajpur où il naquit en 1921 et passa son enfance.

Pêcheurs partant en mer, Estampe. Hokusai ? Hiroshige ? Non. Haren Das

A travers les vignettes de la vie ordinaire, Haren Das nous initie à l'esthétique du quotidien. Il nous ouvre  les yeux sur ces petits riens de la vie qui forment un chapelet  de rituels que l'on égrène négligemment sans percevoir la beauté ineffable dont ils sont investis. Pour Haren Das, la vie humaine, même dans sa banalité la plus plate, s'inscrit dans le merveilleux, le miraculeux, le sacré. Le spectateur est invité à la contempler à travers les actes familiers qui sont autant de dons divins dont l'accomplissement relève d'une offrande que l'homme adresse inconsciemment à la divinité. 
Dans les années 1940-50, lors de la lutte pour l'indépendance et des réformes économiques, Haren Das fut violemment critiqué par certains artistes qui l'accusèrent de dépeindre un monde rural idyllique, naïf, exotique, sans se préoccuper des problèmes endémiques de la paysannerie : emprise de la féodalité sur les fermiers, misère, exode rurale…

Troupe de théâtre itinérante au village

 Malgré ces attaques, Haren Das poursuivra, sans fléchir, dans la représentation de ses thèmes de prédilection. Il fut un artiste moins conventionnel que son œuvre pourrait nous laisser croire. Sous une apparence placide, l'homme devait posséder une grande force de caractère. Dès son jeune âge, à contre-courant de ses camarades de l'école des Beaux-Arts de Kolkota qui choisirent la voie royale de la peinture, Haren Das se tournera vers des techniques graphiques tombées en désuétude ou considérées comme archaïques : la gravure sur bois, la lithographie, l’eau-forte ou l’aquatinte. Toute sa vie, il restera fidèle à ces formes d’expression, devenant même dans les années 1950-60, l’un des rares artistes indiens à pratiquer la gravure sur bois. Il atteindra un tel niveau de maîtrise dans ce domaine que ses estampes seront comparées aux plus grands chefs-d’œuvre de Hokusai ou de Hiroshige. Grâce à sa notoriété, son entêtement, son militantisme en faveur de ces arts graphiques, il parviendra à leur redonner un souffle nouveau. En tant qu'enseignant à l'école des Beaux-Arts du Bengale, il mettra à profit son statut pour introduire leur apprentissage dans le cursus universitaire des étudiants.

Nénuphars
Haren Das fut à l'image de ces personnages simples, discrets, réservés et besogneux, qu'il aima tant représenter dans ses gravures. On l'imagine volontiers travaillant davantage en artisan consciencieux et méticuleux plutôt qu'en artiste à l'imagination enflammée. Ses vignettes, qui rendent un hommage vibrant aux petites gens du Bengale, nous révèlent un homme à la sensibilité délicate, doté d'un sens de l'observation aigu, qui fut toute sa vie attentif non seulement à la vie humaine dans ses aspects les plus humbles mais également à la vie secrète et silencieuse de l'âme. Il s'éteignit à Kolkota en 1993.

Pêche à la ligne, Estampe
Une épicerie dans la nuit


Préparation du riz
Haren Das

mercredi 16 janvier 2013

Gustave Moreau : Salomé dansant devant Hérode


Salomé dansant devant Hérode

 
"C'est peut-être l'œuvre qui résume le mieux le talent de Gustave Moreau, en tout cas le plus significatif de ses envois au Salon en 1876, par l'hiératisme de la composition, l'atmosphère « capiteuse comme certaines fleurs d'Asie », la richesse suprême du décor, véritable « ruissellement de pierreries », dans lequel le peintre, dont certains louent cependant la « science archéologique », a rassemblé avec une parfaite indifférence de l'archéologie les éléments d'architecture empruntés aux pays et aux siècles les plus divers. 

Mais peut-on penser à lui en faire grief ? « Regarder un pareil ouvrage avec des yeux de réaliste — répond Lafenestre — , ne cherchant, dans l'art, rien au delà de l'imitation stérile ou avec les regards froids d'un historien sceptique, c'est assurément n'y rien voir... Ce n'est pas la Palestine mi-judaïque mi-romaine que M. Moreau a vue dans sa vision étincelante ; c'est l'Orient tout entier avec toutes ses splendeurs architecturales, tous ses luxes de pierreries, de tissus, de métaux, ses voluptés sanglantes et ses atrocités graves... » 

L'œuvre est « indescriptible — confesse Yriarte — ... Nous sommes dans un temple, dans une mosquée, un alcazar, peut-être dans une pagode, et la scène se passe dans cette partie consacrée qui serait l'iconostase ;... dans le milieu de la composition, dans l'entrecolonnement central, s'élève le trône d'Hérode, surmonté d'une idole appartenant à je ne sais quel culte et quelle cosmogonie bizarre, mais dont la forme plastique et les lignes principales rappellent la Diane d'Ephèse. Le bourreau, impassible, muet, reste debout, appuyant d'un beau geste la main sur son glaive ; des cassolettes précieuses, des brûle-parfums plus splendides de matière et de forme que les plus riches bibelots demandés par les amateurs modernes aux arts de l'Orient, brûlent en saturant l'air de leurs parfums pénétrants. Salomé s'avance, singulièrement portée sur ses pointes comme la bailarina de cet Alhambra fantastique, l'aimée de ce harem mystique où on respire l'encens, l'opium, la myrrhe et le haschich,... tenant à la main je ne sais quel lotus mystique, elle s'avance ou elle glisse comme une apparition ou comme une péri de l'Inde... L'architecture est prestigieuse, invraisemblable, prodigieuse d'exécution, à la fois pleine de lumière et pleine de mystère... Est-ce Tyr, Jérusalem, Kashmir, Hiram, Danderah, Jagernau, Lahore ou Hyderabad ? » 

Source : Gustave Moreau, Léon Deshairs, Librairie centrale des Beaux-Arts, Paris

Pour le texte complet de Léon Deshairs, cliquer ici

Salomé dansant devant Hérode, Détail

mardi 15 janvier 2013

Le Khamseh de Nezami de l'empereur Akbar

Reliure du Khamsa de Nezami, Gouache sur cuir laqué, Ecole moghole, vers 1590, Lahore



"Le manuscrit du Khamsa de Nezâmi (m. vers 1208) appartient à la dernière époque du long règne de l'empereur Akbar ; il a été réalisé après le départ de la cour en 1585 de Fathpûr pour Lahore. Ce n'est pas le premier exemplaire des «Cinq Poèmes» de Nizâmï commandé par ce souverain si passionné de livres et qui avait appris lui-même l'art de la miniature.

L'excécution des peintures a été demandée au fameux Khwâja Abd al-Samad et à vingt peintres hindous (dont les noms ont été notés par l'un des bibliothécaires impériaux en dessous des peintures), auxquels il faut peut-être ajouter un vingt-et-unième artiste dont le nom serait à lire Lâqï ou Malâqi (?) et qui aurait peint les visages des personnages au folio 165 verso. La peinture du folio 65 est aussi l'œuvre de plusieurs artistes, dont l'un, Dhanrâj, a peint les visages. Cette pratique est ancienne dans la peinture persane et l'on en trouve un exemple dans le manuscrit Supplément persan 985 de la Bibliothèque nationale de France (Bukhara, 1540), où une peinture est signée de trois artistes, dont l'un est lui aussi le peintre des visages (chihra).

Pour sa part, l'enluminure de la Khamsa d'Akbar a été réalisée par Khwàja Jân Naqqâsh qui a signé deux des frontispices enluminés. Un des frontispices s'orne de deux magnifiques figures de l'oiseau sîmurgh.
Dans son état actuel le manuscrit compte 325 feuillets. La totalité du texte a été calligraphiée entre 1593 et 1595 à Lahore par le très fameux maître Abdal-Rahïm Kâtib Haravï, surnommé «calame d'ambre» ('anbarin-qalam). Une des enluminures porte la date de 1595 ou 1596. L'ensemble des peintures peut être daté de cette période, à l'exception de la très célèbre peinture ajoutée au dernier feuillet entre 1611 et 1620, sous le règne de Jahângïr. Celle-ci, qui entoure le colophon, est l'œuvre du peintre Dawlat et représente le fameux calligraphe au travail en présence du peintre, qui, bien que n'ayant pas participé à l'illustration de la Khamsa, a réalisé ici son autoportrait, avec entre les mains l'une de ses œuvres. A l'origine, avant que certains feuillets ne soient retirés du manuscrit, cette Khamsa était illustrée de 44 peintures - exception faite de la scène finale - et parmi celles-ci il y en avait quatre pour accompagner le texte du Makhzan al-Asrâr, onze pour l'histoire de Chosroès et de Shïrïn, sept pour celle de Laylâ et Majnûn et quatre pour les Haft Paykar, un texte qui est d'ordinaire beaucoup plus abondamment illustré. Ici, c'est en revanche l’Iskandar-nâma, dernier des cinq poèmes de Nizâmï, qui se trouve particulièrement privilégié et comporte 15 peintures.

Le programme d'illustration demandé aux peintres de cette Khamsa mérite qu'on s'y arrête. Parmi les scènes représentées, il en est certes qui appartiennent au répertoire traditionnel des manuscrits de Nizâmï, comme la rencontre de Sanjar et de la vieille femme, par La'l, ou beaucoup des scènes du Khusraw et Shïrïn, ou encore le cycle de Majnûn (avec une insistance particulière sur les scènes montrant un tombeau - il y en a trois dans le manuscrit). On observe d'ailleurs que Majnûn, tel qu'il est représenté dans le manuscrit, se retrouve dans la peinture moghole tardive, ce manuscrit ayant pu servir de modèle pour les artistes indiens. Mais à côté de toutes les scènes habituelles dans les Khamsa iraniennes, traitées ici à la manière de l'école akbarienne de la fin du XVIe siècle, on trouve des scènes extrêmement originales, parmi lesquelles le roi emporté par un oiseau (œuvre de Dharmdâs), la princesse réalisant son autoportrait (par Jaganâth), ou la double peinture qui représente Iskandar en train de contempler des artisans fabricant les premiers miroirs (par Nânhâ). Une autre peinture exceptionnelle est celle où l'on voit Mânï en train de peindre l'image d'un chien écorché (œuvres de Sûr Gujarâtï). Très célèbre est la représentation de Khizr baignant le cheval d'Iskandar dans la fontaine de Vie (par Kanak Singh Chela). On peut encore signaler l'image de Mâriya et des prétendus alchimistes (par Sânvala), ou de Platon jouant de l'orgue pour charmer les animaux (par Maddû). Avec d'autres scènes comme la peinture de Gujarâtï (Iskandar et sa caravane parmi les pierres de toutes couleurs) ou celles de Mukund et de La'l qui montrent Iskandar et la prêtresse de Qandahar qui veut qu'on épargne l'idole, c'est la geste d'Alexandre qui a donné lieu au plus grand nombre de créations originales.
Barbara Brend [1] montre quelles ont pu être les préoccupations d'Akbar en commandant les peintures de cette Khamsa : une attention spéciale au thème de la royauté et de son exercice ; l'intégration des influences européennes dans la représentation du monde indien; la représentation de sculptures hindoues ; le souvenir de sa clémence à Qandahar ; celui de ses victoires au Rajasthan. Les représentations de personnages réels ne sont pas absentes du manuscrit : Akbar lui-même au milieu des musiciens, dans la peinture de Miskïna ou encore le musicien qui pourrait être 'Ali Khan Karori ou plus vraisemblablement Misri Singh"

Source : Francis Richard, in Revue Persée

[1] Barbara Brend, auteur de The Emperor Akbar's Khamsa of Nizami, Londres



Mani peignant un chien écorché, vers 1590, Lahore


Alexandre le Grand observant la fabrication des miroirs, page de gauche, vers 1590, Lahore


Alexandre le Grand observant la fabrication des mirroirs, page de droite, vers 1590, Lahore








Calligraphie de Ambarin Qalam, vers 1590, Lahore


Collophon montrant le peintre Dawlat (à gauche) et le fameux calligraphe Ambarin Qalam (Calame d'ambre), début XVIIe siècle, Ecole moghole