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dimanche 6 janvier 2013

Nasir Tûsî : Critique de l'ascétique des soufis

Cheval et cavalier squelettiques, Bijapur, Deccan, vers 1625

Saisissante représentation que celle de ce cheval et de son maître d'une maigreur squelettique effrayante. La miniature évoquerait cette ascèse, particulièrement draconienne parfois, que pratiquaient les soufis en mortifiant leur corps par toutes sortes de privations afin de l'affaiblir et parvenir ainsi à la maîtrise des forces sensorielles symbolisées par le cheval.
Cette démarche ascétique outrancière était souvent condamnée par les musulmans dans leur ensemble mais également par certaines communautés, tels les ismaéliens, qui bien qu'ayant de fortes affinités avec les soufis se dissociaient d'eux sur leurs méthodes sévères.
Voici une illustration de cette condamnation adressée aux soufis par un des plus grands savants de l'Islam, converti à l'ismaélisme, Nasir-al-Din Tûsî, dans son Rawdat at-Taslim (Jardin de la soumission). Nasir rédigea cet ouvrage alors qu'il vivait à Alamut, la fameuse forteresse ismaélienne située au nord de Qazwin dans la chaîne montagneuse de l'Elbourz. Dans le texte suivant, l'éminent savant affirme sans ambages que les désirs concupiscents, charnels et même les facultés irascibles de l'homme font partie du plan divin. Ils jouent un rôle moteur et essentiel dans la perpétuation de l'espèce humaine à travers des activités aussi fondamentales que la reproduction ou le commerce. En outre, ils contribuent efficacement au perfectionnement moral de l'individu en venant nourrir sa volonté, son courage, sa détermination. Chercher à éradiquer les forces sensuelles revient non seulement à aller contre la volonté divine mais contre la vie elle-même. Le croyant doit s'efforcer par une alimentation saine de maintenir un équilibre entre les différentes facultés de l'âme. On se souviendra que Nasir, inspiré par l'Ethique à Nicomaque d'Aristote, avait également rédigé un ouvrage sur le même sujet (Akhlaq-e Nasir) qu'il avait adressé au gouverneur ismaélien de Quhestan. Le philosophe chiite, rejoignant l'illustre maître de l'Antiquité, définissait l''éthique comme un ensemble de qualités morales situées dans un équilibre juste et modéré entre des valeurs opposées. La générosité est une vertu que l'homme doit chercher à s'approprier en la cultivant dans son cœur et en la mettant en pratique dans la vie quotidienne avec ses semblables car elle se positionne à un point équidistant entre l'avarice et la prodigalité. Il en va de même pour toutes les autres vertus qui ne sont autre chose que des valeurs médianes constituant une sorte de chemin idéal, éloigné des extrêmes, sur lequel l'homme doit s'efforcer de marcher tout au long de sa vie afin de trouver le bonheur sur cette terre et accéder à la félicité éternelle dans l'Au-delà.

"Au sujet de ces ascètes, voici ce que disent les gens du Réel [les ismaéliens] : la sagesse divine a exigé que les sens de l'homme soient les instruments mis au service de son âme dans sa recherche de la perfection. Et vous [les soufis], avant même que l'âme n'atteigne à cette perfection, vous gâtez les instruments de la perfection, avant que l’œil de l'intellect ne soit par là rendu clairvoyant, vous détruisez l’œil de la sensibilité. Vous vous conduisez comme celui qui monte un cheval et se donne un but bien déterminé, mais avant d'avoir atteint son but, il abandonne son cheval sur la route, alors qu'il ne lui est pas possible d'aller à pied. Sur la route, il demeure stupide. Les bêtes sauvages le font périr, ou bien il mourra d'une autre sorte de mort. En effet, la saine nourriture est ce dont le sang pur, en l'homme, fait son accroissement. La vapeur de ce sang pur devient le ferment de la faculté du pneuma vital, qui est la monture de l'âme humaine. Il tient en équilibre le tempérament. Voilà ce que vous interdisez, vous mangez une nourriture qui ne vous réussit pas, qui fait le sang épais et dense. De ce sang épais et dense, émane une vapeur sombre, qui devient le ferment du pneuma vital, de sorte que par cela le tempérament est mis en déséquilibre et que la folie, la bile noire, la mélancolie vous gagnent. Vous vous efforcez d'anéantir ces deux facultés, la concupiscence et le courroux. Il vous faut savoir, alors, que si l'on ne possède pas la faculté du courroux, l'on ne possède pas non plus le courage moral. Celui qui est ainsi, comme il n'a aucun courage moral, on ne le compte pas au nombre des hommes, pas plus qu'on ne le compte au nombre des femmes. Mais si l'agressivité aveugle s'emparait de son âme, il n'y aurait aucune différence entre lui et un fauve. S'il n'y a pas de concupiscence, la procréation et la reproduction, auxquelles se rattachent la perpétuation de l'espèce humaine et la prospérité de l'univers, seront stoppées net. Mais si l'aveugle désir sexuel s'emparait de son âme, il n'y aurait aucune différence entre lui et une bête.
Ces deux attitudes, à l'égard de la concupiscence et du courroux, ne sont d'aucune manière saines. Ces deux voies sont, toutes deux, blâmables au regard des réalités qu'on se propose. C'est-à-dire qu'il ne faut ni excès ni défaut. L'anéantissement de chacune de ces facultés doit être atteint par le moyen de la perfection et cela consiste en ce que chacune des deux soit placée sous le contrôle de l'intellect jusqu'à ce qu'elle soit, en quelque sorte, pacifiée et qu'ici elle soit soumise à une tâche déterminée et devienne son assistant. Tout comme alors elles gouvernaient l'intellect, maintenant, c'est l'intellect qui les gouverne et les anges les soumettent au joug de l'union matrimoniale, le courroux en qualité de mâle et la concupiscence en qualité de femelle. De cette union naîtront des rejetons conformes aux conditions de l'existence : la science, l'intelligence, la mémoire, la chasteté, la générosité, la rectitude, l'intégrité, l'amitié, l'authenticité, la bienveillance, la fraternité, la bonne foi, le souci, la patience, le calme, la dignité, la modestie, la sobriété, l'humilité, la confiance, la résignation, le libre parler et ce que cela implique.
Si ces deux facultés subjuguent l'intellect - que Dieu nous en préserve ! - la lumière et la pureté de l'âme seront voilées par la ténèbre et la fausseté qui leur appartiennent."

Source : Nasiroddin Tusi, La Convocation d'Alamut. Rawdat al-Taslim, traduit par C. Jambet, Verdier

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