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samedi 1 septembre 2012

Alamut



Le Rocher d'Alamut



"Nous quittâmes Shahrak et traversâmes à nouveau la fournaise des terres durcies et rouges jusqu'à Shutur Khan. Le rocher des Assassins m'apparut comme un navire, le flanc dressé, se détachant sur un flanc de montagne concave qui le protégeait au nord. Le Rocher était encore à deux heures d'escalades, mais il brillait et se distinguait clairement dans la lumière vespérale - vision saisissante pour le pèlerin."
C'est ainsi que la grande voyageuse anglaise Freya Stark décrivit le Rocher lorsqu'elle le visita en 1930. Le Rocher d’Alamut est devenu célèbre dans l’Histoire par la forteresse du même nom qui se trouvait à son sommet et qui fut occupée par les ismaéliens de 1090 à 1256. Alamut est située à une centaine de kilomètres au nord de Téhéran, dans le massif de l'Alborz, au sud de la mer Caspienne. Le Rocher culmine à quelque 2 100 mètres d'altitude au cœur d’un paysage grandiose de montagnes et de vallées s’étendant à perte de vue.

Les ismaéliens font partie de la branche chiite de l’Islam qui résulte des divergences qui opposèrent les musulmans à la mort du Prophète sur la question de sa succession. La grande majorité des croyants choisit de suivre Abu Bakr mais une minorité préféra, dans sa fidélité à la famille de Muhammad, prendre pour guide (Imam) son cousin et gendre Ali. Selon les partisans de Ali, le Prophète l’aurait clairement désigné comme son successeur à Ghadir Khumm peu de temps avant sa mort. Les sunnites ne contestent pas cet événement mais ils interprètent différemment les déclarations du Prophète. Pour eux, Muhammad invitait simplement les croyants à témoigner de l'estime et du respect à l'égard d'Ali. Toujours est-il que les musulmans formèrent deux groupes distincts qui avec le temps développèrent des identités spécifiques basées sur une conception de l’autorité séculière et spirituelle propre à chacun d’eux. Les ismaéliens tirent leur nom du 6e Imam, Ismaël, auquel une partie des chiites se rallia au détriment de Musa suite à une crise de succession qui divisa la communauté chiite sur le choix à faire entre les deux frères qui revendiquèrent tous deux l'Imamat.

L’origine du mot Alamut prête encore à discussions. Il semblerait qu’il signifie « la leçon de l’aigle » ou « le nid de l’aigle ». Hasan Sabbah (m. 1124), missionnaire en chef des ismaéliens d'Iran prit Alamut en 1090 après avoir infiltré durant de longs mois la forteresse de partisans qui gagnèrent à leur cause une partie de la garnison. Lorsque le maître des lieux s'aperçut de la menace, il était déjà trop tard. Il n'eut plus qu'à quitter la place. Hasan le dédommagea de sa perte en lui remettant une compensation financière.

Nous n'allons pas revenir ici sur ce ramassis de légendes grotesques, ce « roman noir » comme l’appelait Henry Corbin, qui entourent Alamut et furent élaborées par la propagande abbasside et seldjoukide pour jeter le discrédit sur la communauté ismaélienne en l’accusant de tous les vices et exactions. Au Moyen-Âge, les ismaéliens étaient durement persécutés et pourchassés par les autorités en place qui redoutaient la menace qu’ils pouvaient représenter pour leur pouvoir autoritaire. D’autant plus que l’ismaélisme, en s’appuyant sur un vaste réseau de missionnaires remarquablement organisé et structuré, était parvenu à s’imposer sur le plan politique en fondant en 909 au Maghreb le califat fatimide. Pour la première fois dans le monde musulman, une communauté chiite prenait le pouvoir et instaurait un califat rival de celui des Abbassides installé à Bagdad. A son apogée, l’empire fatimide s’étendit sur toute l’Afrique du Nord, le Levant, le Hedjaz avec les villes saintes de Médine et de La Mecque, le Yémen et s’assura la suprématie navale en Méditerranée. Comme le déclara Louis Massignon, le Xe siècle fut le siècle ismaélien de l’Islam. 
En 1094, à la mort du calife fatimide al-Mustansir une crise de succession entre l’héritier du trône Nizar et son demi-frère Musta’li divisa la communauté ismaélienne. Musta’li sorti vainqueur de la lutte grâce à l'appui de l'armée commandée par son beau-père le général Badr al-Djamali. Nizar mourut dans les geôles du Caire. Mais il avait réussi à confier la garde de son fils à de fidèles compagnons qui emmenèrent l'enfant hors d'Egypte et le mirent en sécurité en un lieu secret. En l’absence de l’Imam, vivant caché par mesure de sécurité, Hasan présida aux destinées de la communauté ismaélienne nizarite. Il s’acquitta de sa mission avec une énergie et un dévouement exemplaires. Sous son autorité, Alamut devint une base solide pour la communauté. Elle réussit même à étendre son pouvoir en conquérant un chapelet de forteresses réparties dans les régions montagneuses du Mazandéran et du Kuhestan en Iran, et dans le Djebel Ansarieh en Syrie. Hasan nomma à la tête des ismaéliens de Syrie, un certain Rashid al-Din Sinan qui fit rapidement ses preuves en démontrant avec éclat ses qualités de stratège et de gouverneur. C’est lui le fameux « Vieux de la montagne » dont les chroniques des Croisés évoquent la figure avec admiration. Sous son égide, la communauté ismaélienne atteignit l’apogée de son pouvoir dans le Levant. Elle fut crainte et respectée par ses adversaires sur l’échiquier politique. Saint Louis et d’autres souverains d’Europe instaurèrent des relations diplomatiques avec Sinan.

En Islam, les montagnes ont depuis les origines constitué des refuges naturels pour les minorités ethniques ou religieuses souhaitant préserver leur identité et leur autonomie. Elles réussirent à survivre dans ces régions inhospitalières au climat rude en découpant les flancs des montagnes en terrasses pour y pratiquer l’agriculture. Encore de nos jours, le voyageur qui circule sur les routes sinueuses du Djebel Ansarieh peut admirer le spectacle splendide des montagnes s'étendant à perte de vue et entièrement recouvertes d'oliviers et d'arbres fruitiers. Comme d'autres minorités persécutées, les ismaéliens cherchèrent également refuge dans le dédale des montagnes afin de pouvoir pratiquer sereinement leur foi selon une interprétation mystique du Coran basée sur l’enseignement ésotérique dé l’Imam.

Après la mort de Hasan, sous la direction des Imams successifs, Alamut devint un centre intellectuel brillant, notamment grâce à sa prestigieuse bibliothèque dont la renommée se répandit dans le monde islamique. On imagine les bêtes de somme, chargées de livres et autres instruments scientifiques, gravissant péniblement les pentes escarpées du Rocher pour livrer leur précieuse marchandise de savoir. La forteresse attira des savants aussi éminents que Nasir al-Din Tûsî qui converti à l’ismaélisme, vécut de longues années dans la forteresse et connut la période d’activité intellectuelle la plus féconde de sa carrière. Esprit universel, il rédigea des traités aussi bien en philosophie qu’en mathématiques, astronomie, médecine ou botanique... En lisant ses textes sur la philosophie ismaélienne, on reste confondu par la simplicité déconcertante avec laquelle il parvient à traiter des questions aussi complexes que l’Imamat, le Verbe divin, la Résurrection, ou encore la Rétribution.

Alamut possédait tous les atouts pour attirer l’élite intellectuelle. Dans un monde féodal émietté en principautés issues de l’affaiblissement du pouvoir central des califes de Bagdad et guerroyant les unes contre les autres au gré des alliances pour étendre leur seigneurie, l’Etat ismaélien constituait un havre de paix et de stabilité pour les savants désireux de se consacrer à leurs études dans le calme. Bientôt, les régions ismaéliennes virent affluer des cohortes de réfugiés fuyant devant les troupes mongoles marchant sur le Khorassan, à l’est. Elles trouvèrent un bienfaiteur zélé dans le gouverneur du Kuhestan qui fit preuve d’une telle générosité dans l’hospitalité que ses administrés s’en plaignirent à Alamut.

L’Etat ismaélien dura jusqu’en 1256, date à laquelle la forteresse fut prise par les troupes mongoles d’Hulegu Khan. La bibliothèque fut livrée aux flammes et la forteresse démantelée pierre par pierre afin de prévenir toute velléité de reconquête dans le futur. Le dernier Seigneur (Khudavind) d’Alamut périt assassiné dans des circonstances mystérieuses lors d’un voyage vers la Mongolie pour rencontrer le souverain Mongke.

De nos jours, il ne reste plus grand-chose de la forteresse sur le Rocher. Les fouilles archéologiques ont mis à jour des fondations de remparts, bâtiments et citernes. Le voyageur non averti qui découvre ces ruines aura bien de mal à imaginer le passé glorieux de ces lieux. Pourtant Alamut continue de fasciner et les visiteurs qui gravissent en crapahutant sur les pentes escarpées menant au somment sont chaque année plus nombreux. C'est que les véritables vestiges de la forteresse ne se trouvent pas sur le sommet lui-même mais dans la conscience des êtres humains qui a été définitivement marquée par cette aventure fascinante qui fut celle des fils d’Ismaël sur ce Rocher devenu à présent mythique.

Bibliographie :
Farhad Daftary, Légendes des Assassins : mythes sur les ismaéliens, Vrin
Bernard Lewis, Les Assassins, éditions Complexes

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