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vendredi 7 septembre 2012

Khosrow voit Shirin se baigner : le texte de Nezâmi

Khosrow et Shirin, extrait d'un manuscrit du Khamseh de Nezâm XVIe siècle, BnF



De l'épopée romanesque Khosrow et Shirin de Nezâmi (m. vers 1210), l'une des scènes qui a le plus inspiré les artistes est certainement celle où l'héritier du trône de Perse voit pour la première fois la belle princesse arménienne se baigner dans une source.
Si l'on a souvent pu admirer les différentes miniatures représentant cette scène, on connaît en revanche beaucoup moins le texte de Nezâmi évoquant cette rencontre. Le voici ci-dessous. On relèvera le langage fleuri, et imagé de Nezâmi, plein de préciosités, d'hyperboles et de comparaisons parfois truculentes qui peuvent prêter le lecteur moderne à sourire. On comparera l'extrait avec sa représentation picturale dans la miniature ci-dessus.


"Par hasard, les chevaux fatigués de la route, s'arrêtèrent là-même où se baignait Chîrîn. A ses pages, Khosrow donna l'ordre d'attendre et de rassasier ses chevaux de fourrage. Alors quittant sa suite et s'en allant tout seul, il vint paisiblement devers cette prairie ; circulant quelque peu dans ce lieu verdoyant, en son milieu il vit une onde cristalline, un cheval attaché, prompt comme l'aigle et beau comme un paon, et au bord d'une source limpide autant que le Kauthar qui coule au paradis, une beauté ayant la grâce d'un faisan.

Du fer de son cheval foulant doucement l'herbe, en allant lentement, Khosrow disait tout bas : "Se pourrait-il que cette idole de beauté devînt ma bien-aimée, que ce cheval fut mien ?", sans savoir que ce noir cheval et cette belle viendraient loger en son palais, à l'improviste. (Que de fois l'être aimé vient devant votre porte alors que vous avez l'oeil à demi-aveugle et que le sommeil a captivé votre tête ! Que de bonheurs pour l'homme arrivent sur sa route ! N'en ayant point conscience, il perd la bonne voie.) Il regarda partout, selon son habitude, et soudain son regard tomba sur une lune, un moment ; puis il vit un danger à la voir : plus il la regardait, plus il était troublé. Il vit une beauté comparable à la lune qui dans le ciel serait au-dessus des Pléïades - non pas lune ! miroir enduit de vif-argent, comme la lune de Nakhchâb née du mercure [1]. Dans cette onde azurée elle était comme fleur ; ses reins étaient voilés d'une soie bleu-foncé ; et par son corps rosé, toute la source était fleur d'amande en laquelle était cachée la pulpe. Comment est le héron au milieu d'une eau pure ? Là, même éclat venait de l'eau, de sa beauté : tout autour de sa tête elle peignait ses boucles et ses cheveux épars dérobaient son visage [2]; ses boucles (que j'aie un serpent à chaque poil, si je commets erreur !) disaient tout bas au roi : "Nous sommes tout à fait tes esclaves soumises." Chîrîn était comme un trésor - trésor magique ; et ses boucles jouaient comme serpents lovés ; nul charmeur n'avait mis la main sur ces serpents : l'on eût dit qu'ils avaient mis à mort tout charmeur. Les jardiniers avaient laissé tomber la clef du jardin de Chîrîn ; de ce jardin secret, on ne voyait que deux grenades - ses deux seins ; et le coeur, voyant ces grenades délectables, les désirant, semblait grenade mi-ouverte.

A cette source, alors devenue mansion de la lune, voyez (prodige !) le soleil - Khosrow le prince - avait dévié de la route. Quand Chîrîn de sa main jetait l'eau sur sa tête, c'était ciel fixant des perles sur la lune ; son corps resplendissait autant qu'un mont neigeux, et de désir Parvîz [Khosrow] avait l'eau à la bouche ; et contemplant ce corps captivant, délicat, son coeur s'emplit de feu, ardent comme soleil ; puis son oeil répandit une pluie printanière, la lune se levant au signe du Verseau [3]. Or la belle ignorait que Parvîz la voyait, parce que ses cheveux lui tombaient sur les yeux ; mais la lune surgit de ce nuage noir : sur le prince passa le regard de Chîrîn ; elle vit un phénix monté sur un faisan, un cyprès qui avait poussé haut comme un charme. Et par pudeur son oeil, se fixant sur la source, clignotait comme fait la lune sur de l'eau ; la source de douceurs ne vit d'autre moyen qu'étaler ses cheveux comme nuit sur la lune ; répandant l'ambre gris sur son brillant visage, en plein jour elle fit la nuit sur le soleil ; par crainte, elle noircit son corps blanc comme argent (qu'il était beau ce tracé noir sur de l'argent !) Or, devant cette lune éclatante, le coeur de Khosrow palpita tout comme on le constate quand on mélange au vif-argent de l'or fondu. Mais quand il s'aperçut que du chasseur de lions cette biche de la prairie avait pris peur, lui, le lion chasseur, ne se montra pas vil, car un lion qui poursuit sa proie demeure noble. La patience mise en l'esprit par la culture apaisa les ardeurs de son feu bouillonnant, tint dans l'urbanité cet aimable héros qui d'un autre côté dirigea ses regards. Tout en semant son coeur autour de cette source, il maintenait vers un autre endroit son regard."

Source : Nizâmi, Le roman de Chosroès et Chîrîn, traduit du persan par H. Massé, Maisonneuve & Larose, 1970

[1] Sous le règne d'al-Mahdi, calife de Bagdad, en 779 apparut al-Moqanna', agitateur iranien qui se déclarait prophète. Pour agir sur les masses et les duper, il aurait fabriqué à Nakhchâb une lune artificielle : bassin empli de mercure qu'il éclairait par un procédé de réfraction.
[2] Texte : "De ses cheveux elle faisait bouquet de violettes sur les roses de son visage".
[3] Selon les astronomes du temps, c'était annonce de pluie : Chîrîn sortant de l'eau comme la lune qui se lève, provoque la pluie qui tombe des yeux de Khosrow

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