Youssef Ishaghpour, La miniature persane, Verdier poche |
Dans ce petit essai d'à peine une centaine de pages, Youssef Ishaghpour nous propose ses réflexions denses et fouillées sur l'esthétique de la miniature persane. Afin de percer les mystères de l'apparition de cet art et tenter d'en saisir ses multiples significations, l'auteur interroge tour à tour la métaphysique iranienne, l'histoire, l'apport de l'Islam et du soufisme, les influences artistiques en provenance des Arabes, Mongols et Chinois. Ishaghpour nous aide également à mieux saisir l'originalité et le caractère purement iranien de cet art en le confrontant aux conceptions artistiques occidentale et chinoise élaborées à partir de leur perception du sacré. Ainsi, l'art européen fut essentiellement porté par une volonté de véhiculer la notion de descente de la lumière divine dans la matière. La Chine bouddhiste a axé son art de la peinture dans une relation étroite du trait avec le vide, l'artiste réalisant sa composition à main levé à larges coups de pinceaux séparant et reliant les différents espaces vides dans le tableau. La miniature persane repose quant à elle sur une véritable horreur du vide et cherche à combler chaque espace disponible par des détails d'une minutie extrême. Particulièrement intéressantes sont les pages où l'auteur évoque les répercussions de ces différentes approches spirituelles sur le plan architectural, dans la construction d'édifices religieux telles que l'église et la mosquée. Alors que l'église est bâtie sur la relation à un corps, celui du Christ crucifié, la mosquée iranienne recherche l'évanescence des structures avec ces bassins au centre de la cour reflétant la forme des bâtiments et leur faisant perdre leur matérialité.
Pour les artistes persans, le monde matériel était perçu comme le reflet du monde divin. Toute la beauté des miniatures persanes avec ses couleurs somptueuses recherchait à travers la représentation du monde matériel et des activités humaines, même les plus triviales, à transmettre cette vision métaphysique du monde. La miniature devenait un miroir dont la contemplation devait conduire le spectateur à se souvenir de l'essence sublime de sa patrie spirituelle. D'où la représentation récurrente de jardins, de ruisseaux, d'arbres, de ciels, de montagnes peints avec des couleurs chatoyantes fabriquées à partir de matériaux précieux tels que l'or, l'argent, l'émeraude, le rubis, le lapis-lazuli afin de capturer la lumière, l'ennoblir et révéler son essence ineffable. Il s'agit toujours d'évoquer, de renvoyer, de représenter le monde spirituel à travers la beauté du monde matériel et non ce dernier. C'est cette approche particulière qui nous explique l'absence dans les miniatures de réalisme, de perspective, de modelé, d'ombre comme si les êtres et les choses s'étaient décantés de leur part de pesanteur ou de matérialité pour ne plus être que des images en suspension d'une réalité qui a sa source ailleurs que dans ce bas monde. Humains et animaux présentent tous un air détaché, semblent regarder ailleurs, possèdent tous la même taille qu'ils soient proches ou lointains. Le temps et l'espace sont abolis. Nous sommes dans un autre monde, une autre réalité, éternelle et sans limite. Même les événements historiques les plus dramatiques ou factuels comme une scène de bataille, l'intronisation d'un roi, une femme filant de la laine avec son rouet, n'ont plus d'autres significations que métaphoriques. Ils ne compromettent nullement la beauté du monde ni ne troublent l'ordre divin. Ils ne font que passer, sont transitoires. Aussi, le décor de toutes ces scènes est invariablement constitué de parterres verdoyants ou fleuris, d'arbres aux feuillages colorés, le printemps et l'automne se côtoient dans toute leur splendeur, les ruisseaux coulent, les montagnes violet ou mauves jaillissent telles des vagues, le soleil brille de tous ses feux au milieu d'un ciel doré ou d'un bleu profond, les animaux paissent tranquillement, indifférents à l'agitation autour d'eux. Avec les miniatures, nous sommes en présence d'images du paradis dont les couleurs ont pour vocation d'irradier la lumière inhérente à ce séjour des bienheureux où tout n'est que luxe, calme et beauté.
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