Inayat Khan agonisant, Balchand ?, vers 1618 |
Inayat Khan était un des serviteurs intimes de l'empereur moghol Jehangir. On le voit ici, assis sur une couche au milieu de traversins imposants, d'une maigreur cadavérique, les yeux perdus dans le vide. Ses addictions à l'alcool et à l'opium auront eu raison de lui. C'est sans doute avec impatience qu'il doit attendre Azraël, l'ange de la mort, qui en emportant son âme le délivrera de ses souffrances physiques.
La composition nous offre une vision poignante d'un homme sur le seuil de la mort. Les larges coussins aux couleurs vives contrastent avec le corps livide du mourant. Le gros traversin noir semble nous indiquer que la camarde est désormais devenue son compagnon intime et inséparable. Les murs ont pris une teinte sépulcrale et les draps s'apparentent à un linceul. Pourtant, il se dégage toujours du visage du malheureux une dignité, une gravité, voire même une certaine élégance qui viennent conférer à son agonie une épreuve digne d'un héros grec ou d'un prophète biblique. Des gribouillis situés sur un coin du drap semblent attribuer la peinture à Balchand, grand miniaturiste du XVIIe siècle.
Dans ses Mémoires, Jehangir nous révèle l'origine de cette miniature. Cet extrait en dit également long sur certains aspects de la vie à la cour moghole, notamment sur la consommation, largement répandue, de stupéfiants. Plusieurs souverains et princes, dont Jehangir, moururent alcooliques ou opiomanes.
"En ces jours me parvint la nouvelle de la mort d'Inayat Khan. C'était un de mes attendants intimes. Il s'adonnait à l'opium, ainsi qu'à la boisson chaque fois qu'il en avait l'occasion, et le vin l'avait progressivement rendu fou. Etant de constitution fragile, il en buvait plus que son corps n'en pouvait absorber. Il fut bientôt atteint de diarrhée et, de faiblesse, s'évanouit à deux ou trois reprises. Sur mon ordre, Hakim Rukna appliqua des remèdes, mais la méthode employée, quelle qu'elle fût, ne donna aucun résultat. En même temps, une faim étrange envahit le malade, et bien que le médecin s'efforçât de lui interdire la nourriture, à l'exception d'un repas toutes les vingt-quatre heures, il ne pouvait se retenir. Il lui arrivait aussi de se jeter sur l'eau ou le feu comme un dément, jusqu'à se mettre dans un état lamentable. Enfin, il sombra dans une espèce de léthargie et devint extrêmement lent de gestes. Un peu avant cela, il m'avait demandé permission de se rendre à Agra. Je lui ordonnai de venir chercher l'autorisation de ce congé en ma présence. On me le mit sur un palanquin et on me l'amena. Il me parut si bas et si faible que j'en fus étonné. Il n'avait que la peau sur les os - et même ceux-ci semblaient s'être dissous. Beaucoup d'artistes se sont appliqués à peindre des visages émaciés, mais je n'avais jamais rien vu de comparable ou d'approchant au sien. Dieu de bonté, comment le fils d'un homme peut-il en arriver à une telle apparence ?
Comme c'était un cas très extraordinaire, je donnai à des peintres l'ordre de faire son portrait."