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Le rajah Balwant Singh sur la terrasse de son palais, Nainsukh de Guler, vers 1750 |
Le rajah Balwant Singh de Jasrota, minuscule, seul, debout sur la terrasse de son imposant palais de marbre blanc, regarde par une nuit d'encre bleue les gros nuages menaçants de la mousson s'amonceler dans le ciel. On entend le tonnerre gronder. L'orage va éclater. Une pluie diluvienne va s'abattre. Deux oiseaux, d'une blancheur lumineuse dans l'obscurité, s'éloignent à tire-d'ailes.
Tout le talent de Nainsukh de Guler éclate de façon magistrale dans cette miniature peu conventionnelle, atypique, novatrice. Ici, point de festival de petites touches de couleurs vives, brillantes, gemmées, comme on peut avoir l'habitude d'en voir dans les miniatures mais de larges aplats de teintes douces, délicates, tendres. Point non plus de scènes d'action ou de délassement dans des jardins paradisiaques mais un paysage nocturne créant une tension sourde dans l'esprit du spectateur par les sentiments de solitude, de silence, d'isolement et d'appréhension qu'il dégage. Toute l’œuvre est composée dans le but de nous révéler l'état psychologique du personnage. Nainsukh fut avant tout un peintre d'atmosphère, un observateur attentif des moments intimes, un interprète des remous de l'âme humaine.
Comme dans cette autre miniature ci-dessous :
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Jeune femme courant à la rencontre de son amant, Nainsukh, vers 1750 |
Une femme, seule dans une nuit pluvieuse balafrée de lézardes lumineuses, s'aventure dans une campagne infestée de dangers à la rencontre de son amant. Dans sa course, son bracelet de cheville doré s'est détaché de son pied. Sur la droite, deux arbres majestueux, se tiennent enlacés amoureusement. On remarquera le geste attendrissant du grand arbre posant une branche protectrice autour du tronc du plus petit.
Nainsukh, se démarqua de la peinture moghole et pahari (sa région natale), en créant des paysages profondément originaux, à mi-chemin entre réalisme et imagination. Tous ses paysages sont imprégnés d'un onirisme diffus qui contribue à conférer à ses miniatures une atmosphère de songe. Le professeur Goswamy, historien d'art, explique : "La peinture pahari était davantage tournée vers la mythologie. La palette des couleurs était riche mais n'explorait pas le décor de fond. Aussi, les peintures ne possédaient aucune profondeur de champ. Un paysage entièrement imaginaire était créé de toutes pièces. Le naturalisme des miniatures mogholes attira l'attention de Nainsukh. Il combina les deux tendances, naturaliste et imaginaire, pour créer un style entièrement personnel. Il élabora des paysages proches de la réalité, comme ces étendues de collines ondoyantes typiques de la région de Pahari mais leur insuffla une certaine dose de fantaisie, ce qui contribua à faire d'eux des espaces empreints d'une grande poésie."
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Le raja Balwant Singh entouré de musiciens jouant un raga (mode musical approprié à une humeur ou un instant particulier), Nainsukh de Guler, vers 1750 |
Le miniaturiste Nainsukh naquit au début du XVIIIe siècle à Guler, une petite ville tranquille située dans la douce région vallonnée de Pahari au pied de l'Himalaya. Issu d'une famille d'artistes renommés, Nainsukh en grandissant développa un langage pictural personnel caractérisé par des tons doux et pastels. La carrière artistique de Nainsukh est étroitement liée à sa rencontre avec le rajah Balwant Singh de Jasrota qui lui offrit sa protection et fut un mécène averti en art bien que disposant de moyens modestes. Une complicité et une camaraderie étroites semblent avoir lié les deux hommes tout au long de leur vie. Nainsukh fit de son maître son sujet de prédilection et le représenta dans ses activités tant officielles que privées. Le registre des thèmes traités par Nainsukh nous étonne par son étendue. Il peignit tout aussi bien la vie à la cour du Rajah que celle des villageois occupés à leurs travaux rustiques, en passant par des compositions que l'on pourrait qualifier de fantastiques tant on s'interroge sur le caractère énigmatique de certaines scènes qui semblent inspirées de récits mythologiques ou du folklore pahari. Toute l’œuvre de Nainsukh porte la trace d'un humanisme profond, d'un regard bienveillant qu'il posa sur le genre humain et son quotidien avec un sens de l'observation des plus aigus.
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Le rajah Miyan Mukun Deh en déplacement avec sa suite, Nainsukh, vers 1750 |
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Le souverain moghol Muhammad Shah regardant un combat d'éléphants, Nainsukh de Guler, vers 1760 |
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Krishna tue le serpent Aghasura, Nainsukh de Guler, vers 1750 |
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Joueurs de trompettes, Nainsukh, vers 1750, MET Museum |
Voir du Nainsukh de Guler à Paris? ce serait plutôt au musée Guimet? au Louvre?...Merci de ton billet Sindbad.
RépondreSupprimerOui, au musée Guimet qui en possède quelques unes, tout du moins attribuées à lui et appartenant à l'école de Guler.
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