Retrouvez les chefs-d'oeuvre de la MINIATURE PERSANE et INDIENNE en PUZZLES sur le site : http://www.sindbad-puzzle.com/

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lundi 31 décembre 2012

Behzad : Fugit Irreparabile Tempus

Combat de dromadaires, Behzad, début XVIe siècle, Tabriz

Cette miniature de Behzad montrant un combat de dromadaires nous propose, aussi surprenant que cela paraisse, une réflexion sur le temps qui passe et qui s'écoule inexorablement. Les deux dromadaires affrontés, aux cous emmêlés étroitement, situés au centre de la composition, symbolisent par leur couleur, l'un noir, l'autre blanc, l'alternance du jour et de la nuit. Imagerie que l'on pense inspirée de versets coraniques tel celui-ci : "N'as-tu pas vu que Dieu fait pénétrer la nuit dans le jour et qu'il fait pénétrer le jour dans la nuit." (Coran, XXXI, 29). Dans d'autres miniatures le temps se trouve également représenté par des animaux, tel le rat, mais toujours de couleurs opposées afin de signifier la course indissociable du jour et de la nuit.
S'il est besoin d'une preuve supplémentaire pour les sceptiques à l'allusion au temps dans cette miniature, il suffit de regarder cette scène burlesque sur le coin supérieur gauche d'un vénérable vieillard tenant dans ses mains, de manière tout à fait incongrue, une quenouille dont il a quasiment fini de la dévider de son fil. Est-ce que l'allégorie au temps ne devient pas plus évidente à présent ? Le fuseau représente la rotation de la terre et le fil, l'écoulement inexorable du temps. Un chamelier, placé à côté de chaque animal, tente vainement de faire plier les genoux de sa bête pour la faire s'asseoir. Peine perdue. Comme s'il était possible d'arrêter ou d'immobiliser, ne serait-ce qu'un instant, Chronos et ses cavales effrénées blanche et noire.
Behzad aurait réalisé cette miniature quasiment à la fin de sa vie, à soixante-dix ans, comme le nous renseigne la calligraphie dans la cartouche. Sa vue avait considérablement décliné, sans doute usée par les heures incalculables passées tout au long de sa vie sur les miniatures à peaufiner les innombrables détails d'une minutie extrême. Il est même plus que probable qu'il n'ait fait que superviser la réalisation de cette miniature au sein de l'atelier royal dont il avait été nommé Maître d'oeuvre. On se demande s'il ne se serait pas représenté dans le brave vieillard armé d'une quenouille comme un clin d'oeil émouvant à sa propre situation d'homme qui se sait arrivé quasiment au terme de son voyage sur terre ? Très probablement. On connaît Behzad coutumier d'un regard toujours empreint de tendresse envers les humains embarqués à bord du navire de la vie et voguant sur des flots incertains et capricieux.


Combat de dromadaires, Abdus-Samad, fin XVIe siècle, Inde

Faisons un petit bond dans l'espace et le temps pour nous retrouver quelques générations plus tard à la cour des grands moghols (déformation de mongols) de l'Inde. La miniature ci-dessus a été réalisée par un grand miniaturiste du nom d'Abdus-Samad qui a, un beau jour, quitté sa Perse natale pour mettre son talent au service des souverains de l'Inde. Comme vous pouvez le constater, il a repris la miniature du grand Maître Behzad. Mais sa peinture nous touche particulièrement pour la dédicace en persan versifié qu'il a insérée dans les cartouches supérieures de son oeuvre et qu'il adresse affectueusement à son fils. En la lisant, on apprend avec émotion que l'artiste est dans sa quatre-vingt-cinquième année, qu'il vient d'exécuter cette miniature uniquement de mémoire, d'après un original de Behzad qu'il a vu il y a très longtemps. Il l'offre en cadeau à son fils afin que celui-ci prenne enseignement sur ce qu'il est encore possible de réaliser à un âge aussi avancé !
Quelle belle leçon de vie pour tous que celle adressée par le Maître Abdus-Samad à son fils, à travers une oeuvre d'art réalisée avec amour et une dédicace touchante. 
Puisse cette miniature nous accompagner, nous éclairer et nous guider tout au long de la nouvelle année qui approche à grands pas.

dimanche 30 décembre 2012

Kamal-ol-Molk : Le triptyque de l'âme

Le bassin du Palais de Saheb Qaraniyeh

Etonnant tableau, d'une beauté austère, mystérieuse et silencieuse.
Qu'il est triste de constater qu'aucune monographie n'existe dans une langue européenne sur celui qui fut un des plus grands peintres iraniens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, Muhammad Ghaffari, de son nom d'artiste Kamal ol-Molk (1846-1941). On peine à trouver sur Internet des informations fiables sur la vie de cet artiste comme sur ses œuvres. Il est impossible, par exemple, de dire avec certitude si le tableau ci-dessus reflète ou non la palette des couleurs de l’œuvre originale tant les versions que nous pouvons rencontrer sur la Toile sont différentes.
Quoi qu'il en soit, l’œuvre sous ses différents aspects dégage toujours son aura de mystère et de charme envoûtant. Elle nous intrigue, nous déconcerte, nous interpelle par le sentiment de perplexité que la représentation de cette salle déserte et austère, nimbée d'une lumière jaune blafarde tirant sur le vert, fait naître en nous. On s'interroge sur son intérêt, son sens, sur le dialogue intime que l'artiste a voulu nouer avec le spectateur à travers elle.
La composition, encadrée de chaque côté par des colonnes, resserre notre regard vers le centre du tableau puis le conduit par un corridor voûté jusqu'à la porte du fond. A en juger par la clarté que nous y apercevons, cette porte doit probablement s'ouvrir sur une cour ou un jardin. Le seul élément de décor que notre vue rencontre dans sa fuite en avant est le lanternon, éteint, suspendu du plafond au-dessus d'un bassin rempli d'eau, de couleur sombre. Un sentiment immense de solitude empreint de dignité et de silence émane de ce lieu.

Kamal al-Molk nous a laissé trois tableaux représentant des salles avec une fontaine en leur centre. Contrairement à Saheb Qaraniye, les deux autres nous sont montrées avec des parois murales recouvertes d'une décoration riche, opulente, fastueuse. Pour parvenir à déchiffrer la signification de ces toiles, nous devons nous tourner vers la symbolique de ces espaces dans l’architecture islamique.
Le plafond en forme d’arc symbolise la voûte céleste, le monde spirituel ou encore l’Univers. C’est le macrocosme manifestant par son immensité la Toute-Puissance de Dieu. Les ornements muraux composés d’entrelacs géométriques et d’arabesques en rinceaux se déployant et s’entrecroisant à l’infini de manière étourdissante, nous donnent à admirer sous une forme allégorique la richesse, la beauté, l’harmonie de la Création irriguée en un flot continu par la miséricorde et la grâce divines. Certaines interprétations voient également dans ces embellissements, une évocation stylisée du paradis promis aux vertueux par le Coran.
Le bassin, quant à lui, avec son miroir d’eau, signifie l’homme en tant que microcosme, celui en qui toute la création se trouve reflétée, résumée et sublimée.
A la lumière de cette symbolique architecturale, le sens de ces trois tableaux se dévoile à nous. A travers la nature des décorations projetées sur les parois ou leur absence, l'artiste nous brosse des fresques murales révélatrices d'une perception du monde définie selon les couleurs, les formes, les nuances et les contours d'une vie émotionnelle, psychique et spirituelle vécue dans les replis secrets de son âme. On pourrait s'avancer à dire que chacun de ces tableaux constitue des autoportraits de la vie spirituelle de l'artiste, une vision esthétique de ses émois et de ses états-d'âme où chaque touche chromatique nous offre la traduction visuelle d'une charge émotionnelle ressentie dans le déferlement des vagues d'émotions venant se briser contre les parois du coeur pour jaillir de la palette du peintre en gerbes de couleurs porteuses chacune de ses joies et de ses angoisses. Paul Gauguin écrivait à juste titre que "l’œuvre d'art, pour celui qui sait voir, est un miroir qui reflète l'âme de l'artiste."

Saheb Qaraniyeh avec ses murs dénudés nous renvoie le reflet d'un homme pour qui le macrocosme du monde aurait perdu son attrait, ses couleurs et son éclat pour devenir une morne plaine. L'artiste semble isolé, coupé du monde, embarqué dans une traversée du désert dont la fin lui paraît aussi lointaine que la faible lueur qu'il voit briller par la petite porte située à l'autre bout du corridor en forme de tunnel.
Les deux autres toiles, au contraire, avec leurs décorations somptueuses nous renvoient l'image d'un homme comblé et heureux. Le monde ressort paré de couleurs chatoyantes, riches, éclatantes. L'eau jaillit des fontaines telle une source de joie des tréfonds de l'âme, une lumière diurne fait étinceler la surface des eaux comme des miroirs. Tout respire la foi, l'espoir, le bonheur, le succès, le rire, l'optimisme. Le temps de Saheb Qaraniyeh semble loin et oublié. Un avenir radieux s'ouvre désormais devant le peintre. 


Bien avant l'arrivée des philosophes de la phénoménologie, les mystiques de Perse, dont l'influence se discerne dans certaines œuvres de Kamal-ol-Molk, nous avaient dévoilé dans leurs poèmes et apologues, la nature subjective du regard de l'homme. Le monde n'est qu'un amas de poussière, sans qualités ni défauts en lui-même. Ce n'est que la qualité du regard porté sur lui par l'homme qui le fait apparaître beau ou laid, éclatant ou terne, miraculeux ou naturel, sublime ou dérisoire. Si l'homme est à l'image du macrocosme, ce dernier est également le reflet de l'âme humaine qui l'investit en retour de ses attributs de couleurs, saveur, éclat, beauté, sens. 

Les mystiques, au premier plan desquels Rabia, Rumi ou Hafez, n'eurent de cesse de chanter l'amour pur et véridique comme la voie la plus efficace pour parvenir, non seulement à l'union divine, mais surtout à faire naître  au préalable dans le cœur cette allégresse spirituelle qui transfigure le regard et le rend apte à découvrir derrière les apparences du monde leur réalité essentielle : des épiphanies de la beauté et des qualités divines. L'amour, l'amant et l'aimé(e), les seules choses que ces trois éminents mystiques aient trouvé dignes d'être chantées et exaltées dans leur Diwan.

Parmi ces trois tableaux qui représentent une sorte de triptyque autobiographique des émois de l'âme à différentes époques de la vie de l'artiste, Saheb Qaraniyeh est considéré comme un chef-d'oeuvre du Maître. Probablement, à cause de l'émotion contenue, digne, recueillie qui se dégage de ce lieu à l'aspect monacal. On se demande quel événement particulier, quelle blessure secrète, quel drame privé a bien pu inspirer la composition de cette toile au peintre. Peut-être un chagrin d'amour, la perte d'un être cher, des doutes artistiques, des conflits au palais... On ne saurait le dire. Mais, on sait que la vie n'a pas épargné l'artiste en désillusions et revers du sort.
Kamal-ol-Molk éprouvait envers le poète Hafez une grande admiration.  Le Diwan du poète n'a pas dû manquer d'inspirer le peintre. Peut-être même que Saheb Qaraniyeh a été inspiré par les vers suivants :

Comment la rose peut-elle être belle sans les joues de l'aimée ?
...Une peinture même parfaite est terne quand elle n'est pas le modèle.
Sans les gestes de l'amour, Dieu que le jardin, les roses et le vin sont tristes !
A défaut de les avoir écrits, Kamal-ol-Molk semble vouloir nous transmettre à travers son tableau, sous une forme visuelle, le même message que le poète de Chiraz : celui d'une âme perdue dans le désert aride du monde en l'absence de l'amour.
Salle du palais de Soltanabad, 1882 (?)
 

mardi 25 décembre 2012

West Road

Route Ouest, Dorothea Lange, 1938. La route américaine, se déroulant à l'infini, comme une invitation à aller toujours plus en avant, toujours plus loin, au sens propre comme au sens figuré

"La grande maison de l'Ame est la route ouverte. Ce n'est ni le ciel ni le paradis. Ce n'est pas là-haut. Pas à l'intérieur. L'Âme n'est ni là-haut ni à l'intérieur. C'est un voyageur sur une route ouverte.
"Pas par la méditation. Pas par le jeûne. Pas en explorant paradis après paradis, intérieurement, comme les grands mystiques. Pas par l'exaltation. Pas par l'extase. Par aucun de ces moyens l'âme ne se réalise. Seulement en prenant la route ouverte.
"Pas par la charité. Pas par le sacrifice. Ni même par l'amour. Pas par les bonnes oeuvres. Ce n'est pas ainsi que l'âme peut s'accomplir. Seulement par le voyage sur la route ouverte.
"Le voyage lui-même sur la route ouverte. Exposé à tout contact. Sur deux pieds lents. A la rencontre de tout ce qui passe sur la route ouverte. En compagnie de ceux qui errent de la même façon, sur la même voie. Sans aucun but. Toujours la route ouverte."

D. H. Lawrence, Etude sur la littérature classique américaine, 1923

"Bindle Stiff" on road to Sacramento, Dorothea Lange

lundi 24 décembre 2012

Gentile Bellini : Le Peintre Turc et ses déclinaisons en miniatures

Peintre turc, Gentile Bellini, 1480

Le vénitien

Gentile Bellini, peintre vénitien, mort vers 1507, devint célèbre pour ses portraits de personnalités croquées de profil et se découpant sur des fonds sombres ou sur les eaux vertes du Grand Canal de Venise. Sa renommée s’étendit jusqu’en Orient. Le Sultan ottoman Mehmet II, le conquérant de Constantinople, l’invita en 1480 dans sa capitale pour réaliser son portrait. Le vénitien y séjournera deux ans. Un de ses tableaux, le Peintre turc, émerveillera les artistes de l’Islam qui le réinterpréteront en livrant leur propre version du modèle. Parmi les deux variantes que nous connaissons, l’une semble être de Behzad en personne et aurait donc été réalisée dans le monde persan, l'autre d'un peintre anonyme moghol.

Dans son tableau, Gentile Bellini nous montre un peintre turc dans l’exercice de son art. Il est assis à même le sol et commence à tracer une esquisse à l’aide d’un calame (qalam-e nay), cet instrument du trait, fabriqué à partir d’un roseau, dont la pointe était biseautée et fendue. Il a posé sa tablette en appui sur ses genoux qu’il tient légèrement relevés afin d’avoir la planche correctement inclinée. Il se sert de son bras gauche pour assurer sa stabilité dans son giron. Calme, concentré, le regard fixe, l’artiste trempe sa plume à intervalles régulières dans les différents pots disposés autour de lui sur la natte. Il délaisse parfois son calame au profit d’un pinceau plus ou moins épais, piqué de poils d’écureuil, (qalam-e moû), lorsqu’il veut insuffler les couleurs de la vie aux formes qu’il vient de créer.
Notre peintre turc porte à l’oreille droite un anneau qui indique son statut d’esclave envers le Sultan. Vu son teint et sa physionomie, il doit probablement être originaire des régions balkaniques. C’est dans ces provinces chrétiennes que l’empire ottoman pratiquait le devchirme, ce dispositif qui permettait aux délégués du pouvoir central d’enlever des enfants à leurs familles pour les envoyer à Istanbul. Ces enfants étaient ensuite placés dans les meilleures écoles d’Istanbul où on les préparait à devenir l’élite de la nation, mais une élite vouée corps et âme au Sultan. En fonction des compétences développées par chacun et du cursus suivi, les jeunes diplômés intégraient les différents services de l’Etat pour briguer les plus hauts postes dans l’administration, l’armée ou même dans les ateliers d’art du souverain.
Gentile Bellini a revêtu notre peintre d’un magnifique caftan brodé de motifs typiquement ottomans en forme d’arabesques floraux. Néanmoins, la palette demeure plutôt sombre avec ce turban, cette ceinture en tissu ou ces manches peints dans des tons atténués. Un artiste ottoman a jugé utile d'introduire un petit bouquet de fleurs sur la gauche du personnage, soit pour égayer l'ensemble soit pour combler un vide qu'il jugeait trop important sur ce côté du tableau.
Sur le côté droit, une belle calligraphie arabe dans un style développé dans le monde iranien à la fin du XVe siècle, nous renseigne que le tableau a dû quitter Istanbul très tôt après sa réalisation pour voyager à travers le monde islamique, sans doute dans le cadre d'échanges diplomatiques, et parvenir à Tabriz ou Hérat, lieu de résidence de Behzad en cette fin du siècle. L'inscription formule une attribution de l'oeuvre à un artiste au nom énigmatique mais en tout cas bien identifié comme étranger à l'Islam : « Oeuvre d’Ibn Muezzin [fils de muezzin] qui est l’un des maîtres célèbres des Francs. » Est-ce que le peintre vénitien aurait porté un nom d’emprunt lors de son séjour à Istanbul pour être ainsi désigné dans la signature ? Ou bien le nom résulte t-il d’une déformation linguistique ? Difficile à dire.


Le peintre turc, Behzad (?), 1482

Le persan

Il semblerait que le portrait ci-dessus, déclinaison du tableau de Bellini, serait de Behzad lui-même. C’est en tout cas à lui que le monde musulman attribue l’œuvre et un calligraphe ne s’est pas gêné pour ajouter dans un médaillon situé en bas en gauche la mention : « Peinture réalisée par le serviteur [de Dieu] Behzad ».
Rejoignant Bellini sur nombre de points, l’artiste musulman a pourtant réussi à prendre suffisamment de distance par rapport au vénitien pour imprimer à son œuvre une identité visuelle ancrée dans la tradition picturale islamique.
Si l’on pouvait avoir un doute sur la véritable nature du personnage représenté par Bellini – scribe ? peintre ? calligraphe ? – désormais le doute n’est plus permis, c’est bien un peintre que nous avons en face de nous. Il tient une miniature à la main, presque achevée, d’un échanson ou d’un jeune homme se versant une coupe de vin, image récurrente dans l’art persan. Au niveau pictural, les tons sombres de Bellini ont cédé la place à des couleurs chatoyantes, lumineuses, franches. Les motifs du caftan se sont estompés au profit de larges aplats de lapis-lazuli d’un bleu profond mariés à un vert écarlate des manches de la chemise. La ceinture en tissu est désormais cousu de fils aux teintes multicolores et vives. Le turban quant à lui, parcouru de douces lignes élégantes, éblouit par sa blancheur. Etrangement, un anneau pend toujours à l'oreille du peintre. D’autant plus étrange qu’un mouchoir blanc, signe de noblesse, est fiché dans sa ceinture. Deux éléments pour le moins contradictoires. Il semblerait qu'il faille voir dans ces deux attributs des métaphores de la condition du personnage représenté : serviteur de Dieu en tant qu’homme et souverain ou maître de son art en  tant qu’artiste.
Nous retrouvons toujours, comme dans le portrait de Bellini, le même visage grave avec ce regard fixe, absorbé et concentré sur le travail. De légères touches d’ombres viennent souligner le regard aux longs cils abrité sous un trait de sourcil gracieux. Le peintre est jeune, beau, rayonnant. Autant d’aspects renforcés par les teintes éclatantes de sa tenue mais aussi et surtout par ce fond jaune qui illumine l’œuvre d’un éclat solaire et sur lequel son profil se détache avec netteté. Nous avons là une œuvre lumineuse, un véritable chef-d’œuvre, qu’il soit de Behzad ou pas. Mais, au vu des éléments énumérés, on ne peut s’empêcher d'y relever la patte du grand Maître de Hérat avec cette palette d’une fraîcheur exceptionnelle qu’on lui connaissait mais aussi dans ce goût prononcé qu’il avait de faire refléter dans les visages l’âme et la psychologie des personnages.



Le peintre turc, Inde moghole, fin XVIe - début XVIIe siècle

Le moghol

Avec ce troisième portrait, nous sommes dans l’Inde des grands moghols, même si une petite inscription située en bas à gauche attribue faussement l’œuvre à Behzad. A présent, ce n’est plus un peintre jeune que nous voyons représenté mais un homme d’âge mur avec des favoris et une barbe plus prononcés. Cette miniature nous révèle dans la peinture indienne des influences tout à la fois persane et européenne. Persane par les larges aplats de couleurs vives. Européenne par l’introduction d’ombres dans le modelé du visage, par les petits motifs dorés recouvrant le turban et la capeline bleue inspirés des éléments décoratifs de la Renaissance tardive. Contrairement aux deux autres portraits, l’artiste indien a choisi de nous présenter un profil différent du personnage, comme une image renversée, vue dans un miroir. La palette occupe une luminosité intermédiaire entre celle de Bellini et du portrait persan. Comme dans les deux précédents modèles, notre peintre a les yeux fixés sur son oeuvre représentant une femme et des nuages aux circonvolutions à la chinoise selon les règles définies par l’esthétique persane.
L’Inde s’ouvrit aux influences européennes beaucoup plus tôt que la Perse, probablement à cause des nombreux ports maritimes jalonnant son immense littoral et favorisant les échanges commerciaux. L’art du portrait y connaîtra un succès immense sous l’impulsion des monarques moghols qui à l’instar de leurs pairs européens aimeront à se faire représenter avec tous les insignes de leur souveraineté. Les princes des dynasties locales, les ministres et les notables de l’empire, par imitation ou orgueil, leur emboîteront le pas afin de laisser dans les chroniques historiques ou dans les albums d’images (muraqqa’) un souvenir de leur prestigieux passage sur terre.

Destin exceptionnel en Islam que celui du Peintre turc exécuté par Gentile Bellini. On peut se demander ce qui a interpellé les différents artistes musulmans dans ce tableau pour qu’ils éprouvent le besoin de le reprendre en le réinterprétant à leur façon. Peut-être ont-il vu, dans ce portrait d’un peintre en pleine page, sans aucun autre élément de décor ou personnage autour de lui, un hommage puissant rendu à tous les peintres oeuvrant dans le monde de l’Islam. Des peintres qui pratiquaient leur art en ayant en permanence sur leurs épaules l’œil suspicieux des Docteurs de la loi (ulémas) qui considéraient leur activité comme une déviance par rapport aux préceptes dogmatiques de l’Islam et qui préféraient accorder leur faveur aux seuls calligraphes, ces artistes adonnés à l’embellissement de la Parole de Dieu inscrite dans le Coran. Sans le soutien de mécènes privés, souverains, princes ou notables, les ateliers de peinture n’auraient jamais pu voir le jour en Islam ni les peintres d’exercer leur art. L’art de la miniature fut avant tout un art de la cour, royale ou princière.
Reprendre ce portrait a été une manière pour les peintres musulmans de défier l’orthodoxie la plus roide des ulémas sourcilleux en mettant à l’honneur un des leurs. Mais aussi d’exprimer avec force, dans un langage visuel chatoyant, leur passion dévorante pour la peinture qui constituait leur raison de vivre et d’être. Dans ce regard fixe, concentré et braqué du peintre turc sur son esquisse, les artistes musulmans y ont sans doute décelé la métaphore de leur attachement et de leur dévouement indéfectibles, exclusifs, inconditionnels et pléniers à l’art de la peinture.

mardi 18 décembre 2012

Avicenne : Poème de l'âme


Reza Abbasi (m. 1635) est surtout connu pour ses portraits de jouvenceaux alanguis et d'amoureux enlacés. Voici, une miniature de lui nous offrant une représentation naturaliste d'un rossignol. L'artiste a utilisé un pinceau très fin pour peindre avec une minutie extrême le plumage de l'oiseau dans des tons délicats.


On connaît Avicenne (m. en 1037), le grand médecin, le grand philosophe. Voici Avicenne, le mystique, un visage moins connu de cet éminent savant.

Tombée du plus élevé des cieux, une colombe est en toi, noble et fière
Nul voile ne la cache et pourtant nul regard, même d'initié ne la voit.
Malgré elle en toi, peut-être souffrira-t-elle un jour de te quitter.
D'abord révoltée, elle a peine à s'adapter, puis s'est habituée
à ce corps pour elle désert et vide ;
Elle a fini, je crois, par oublier son monde originel
dont elle était inconsolable.
Elle a quitté pour toi son séjour céleste pour tomber en ce terrain aride.
La lourde matière s'est attachée à elle et elle a vécu
en ton corps, ruine périssable.
A évoquer sa vie au monde des esprits, elle pleure des larmes sans fin.
Et jette sa plainte sur ces vestiges, jouets des quatre vents.
L'épais réseau l'enserre, une cage la tient éloignée de l'immense maison
Jusqu'au moment du départ vers le foyer des âmes et
le champ sans mesure
Alors séparée de ton corps de poussière désormais seul.
Elle dormait et, le voile levé, voit ce que ses yeux de sommeil ne pouvaient voir.
Elle roucoule alors du sommet du Haut-Mont,
la Connaissance y porte les plus faibles.
Qu'est-est descendue des Cieux vers ce bas-monde misérable ?
Si Dieu l'y a précipitée, Son intentiion reste cachée
au plus subtil entendement des hommes.

[Extrait]

Avicenne

Sindbad PUZZLE sur Paris

Il est désormais possible de trouver les puzzles Sindbad en vente dans les quatre librairies suivantes sur Paris :

Librairie Ambika
Librairie spécialisée sur l'Inde
9 rue Rodier
75009 Paris










Fondée en 1980, première librairie arabe de Paris, la Librairie Avicenneest aujourd'hui un lieu de référence unique dans son domaine pour la richesse de son fonds, l'étendue de sa clientèle, l'efficacité de ses services.
La Librairie Avicenne offre un choix vaste et exigeant d'ouvrages de référence sur le monde arabe et musulman, en langue arabe comme en français.
 Ouverte de 10h00 à 19h00 tous les jours sauf le dimanche. 
Avicenne
25, rue Jussieu
75005 Paris


 La librairie de l'Orient dans le 5ème arrondissement de Paris, à quelques pas de l’Institut du Monde Arabe, la librairie met à votre disposition un choix d’ouvrages divers et variés en langue arabe et française autour de la civilisation arabe et musulmane.
 La Librairie de l'Orient
18 rue des Fossés Saint-Bernard
77005 Paris




 La Librairie Abencerage est spécialisée dans les livres anciens, épuisés et monographies ayant pour objet l'Islam et le monde arabe : Afrique du Nord, Proche et Moyen Orient, Golfe Persique, Asie Centrale, Turquie, Arabie. 
Librairie Abencerage
159 bis, bd de Montparnasse
75006 Paris

vendredi 14 décembre 2012

Sindbad PUZZLE sur le site de Indeaparis.com


Cliquez sur l'image pour être dirigé sur le site de indeaparis.com

Le site Indeaparis.com a consacré un article aux puzzles Sindbad. J'adresse mes plus vives remerciements à Gilles, le webmaster du site, pour le soutien spontané et chaleureux qu'il a apporté au projet.
Indeaparis.com est le plus vaste portail de l'Inde en français. Il fait le point sur toute l'actualité, les manifestations culturelles, les bonnes adresses relatives à l'Inde. C'est une véritable mine d'informations sur tout ce qui touche de près ou de loin au pays de Gandhi.


"Belle découverte en cette fin d'année que les puzzles Sindbad, qui reprennent de très belles miniatures mogholes, persanes ou afganes et arrivent à point pour devenir ces merveilleux cadeaux à petits prix (19€ pièce !) qui réuniront familles et amis pendant de longues heures. En plus de découvrir ces jeux exceptionnels, nous vous proposons une interview exclusive de leur créateur, Nadir Mackwani...

Les Puzzles Sindbad
Si le principe des puzzles est connu de tous, ceux de Sinbad sont de 1000 pièces et leur qualité est irréprochable. Sindbad propose un catalogue de 18 modèles venu de l'Orient et du passé. Créé par les plus grands miniaturistes et enlumineurs d'Istanbul, Tabriz, Hérat ou Hyderabad ils constituent, une fois terminés, de superbes tableaux qu'il ne restent plus qu'à encadrer (taille 48x68). Nous saluons unanimement cette initiative très courageuse en ces temps de frilosité entrepreneuriale d'autant plus qu'elle allie le raffinement à l'intelligence et mérite notre plus entier soutien ! Nous avons donc souhaité en savoir plus de leur intrépride créateur, Nadir Mackwani, diplômé Inalco à trois reprises...

Interview de Nadir Mackwani

Question - D'où vous vient cette passion des puzzles ?
Réponse - J'ai découvert la passion des puzzles suite à un voyage à Cordoue, en Espagne. J'ai atterri dans un hôtel dont les couloirs et les pièces comportaient d'imposants puzzles encadrés sur les murs. J'ai trouvé que ce serait original de rapporter comme souvenir un puzzle représentant un monument de la ville. C'est ce que j'ai fait. J'ai pris beaucoup de plaisir à réaliser ce puzzle en famille. Tout en l'assemblant nous évoquions nos souvenirs de vacances. De plus le puzzle créait une convivialité au sein de la famille qui se regroupait autour de lui pour le terminer en cherchant les pièces manquantes. J'ai pris personnellement beaucoup de plaisir à réaliser ce puzzle car il me permettait de me relaxer en sollicitant ma concentration et mon sens de l'observation sur une occupation qui m'évadait des rituels et des petits tracas de la vie quotidienne. Depuis, je suis tombé dans l'univers des puzzles.
 
Q - Comment avez-vous trouvé les miniatures qui ont servi de modèle à vos puzzles ?
R - J'ai toujours été un amateur d'art. J'ai effectué des études de langue persane et arabe à l'Inalco ce qui m'a familiarisé avec les arts arabo-persans. De par mes origines, je me suis intéressé aux arts de l'Inde. Toutes les œuvres représentées sur les puzzles Sindbad ont des droits d'auteurs (particuliers ou musées) auprès de qui les droits de commercialisation de l'image ont été sollicités.
 
Q - Pourquoi 1000 pièces et pourquoi pas moins ou pas plus ?
R - Il y a des puzzles de 40 pièces également. D'autres modèles de puzzles de tailles différentes verront bientôt le jour.
Q - Où sont fabriqués les puzzles ?
R Les puzzles sont fabriqués au sein de l'Union Européenne par des sociétés qui respectent toutes dans leur processus de fabrication les normes de sécurité décrétées au niveau européen et possèdent donc la certification CE relative aux jouets.

Q - Comment sont-ils commercialisés ? (quelques adresses ?)
R - Essentiellement en ligne sur le site de Sindbad Puzzle

Q - Depuis combien de temps existe Sindbad ?
R - Depuis 5 mois

Q - Et pourquoi Sindbad ?
R - En référence à Sindbad le Marin, le fameux personnage des Mille et une nuits qui à chacun de ses innombrables voyages à travers le monde vit des aventures plus extraordinaires les unes que les autres. Ce personnage évoque tout à la fois les voyages, l'aventure, l'évasion, la rencontre, la découverte, l'émerveillement... Tout ce que les puzzles Sindbad s'efforcent de susciter à travers les œuvres représentées.

Q Et que nous réserve l'avenir  ?
R Mon rêve, ce serait d'avoir en puzzles des miniatures des artistes aussi illustres que Behzad, Reza Abbasi ou Nadir al-Zaman.

Merci à Sindbad Nadir et longue vie à son entreprise.

Puzzles Sindbad - 1000 pièces - 19€ la boite
A partir de 9 - 10 ans accompagné d'un adulte ou de 12 - 13 ans sans accompagnement.

jeudi 13 décembre 2012

Vermeer, Proust et le petit pan de mur jaune

Vue de Delft, vers 1660


"Depuis que j'ai vu au musée de La Haye une vue de Delft, j'ai su que j'avais vu le plus beau tableau du monde. Dans Du côté de chez Swann, je n'ai pu m'empêcher de faire travailler Swann à une étude sur Ver Meer."

M. Proust, lettre à J.-L. Vaudoyer, 1921.
"Enfin, il fut devant le Ver Meer qu'il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient : il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune, qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur."

M. Proust, Du côté de chez Swann, "A la recherche du temps perdu", 1923
Proust considérait Vue de Delft comme le plus beau tableau du monde. Le deuxième extrait, tiré de "Du côté de chez Swann" est considéré par les spécialistes de l'art comme l'un des plus beaux commentaires sur cette toile de Vermeer. Admettons. Mais, où se trouve donc sur le tableau ce fameux "petit pan de mur jaune" évoqué par l'écrivain ? On a beau chercher, on a du mal à le trouver.


Les critiques ont principalement suggéré un ces trois endroits comme pouvant être "le petit pan de mur jaune". Aucun ne fait l'unanimité. On cherche toujours.

mercredi 12 décembre 2012

Vermeer : Une leçon de musique mystérieuse

La leçon de musique, vers 1664


Étrange tableau, comme tous les autres d'ailleurs de Vermeer (m. en 1675), aussi énigmatique que l'artiste lui-même. Mis à part deux tableaux de paysages, tous les autres nous montrent des personnages, seuls ou en duo, dans des intérieurs proprets et sereins, dans l'intimité d'une chambre ou d'une autre pièce de la maison. Ils sont observés, en silence, à leur insu, par un spectateur tapi dans l'ombre, derrière un rideau, ou dont la présence passe tout simplement inaperçu par les acteurs tant ils sont absorbés dans une lecture, une écriture, une conversation, une activité domestique, musicale ou scientifique.

Les scènes nous déconcertent par leur banalité même. On s’interroge sur l'intérêt d'une mise en scène aussi anodine, sur son sens, sa signification. On reste là, à admirer la beauté d'une lumière miraculeuse imprégnant l'oeuvre d'une splendeur surnaturelle, les drapés splendides des robes, la douceur des visages, les échanges de regard. On se sent possédé par un charme envoûtant émanant de la composition. On se surprend à élaborer des scénarios, à émettre des hypothèses, à se lancer dans des conjectures sur la nature réelle des relations entre les protagonistes ou leurs intentions cachées. On tend l'oreille pour mieux entendre les conversations. On écarquille des yeux pour scruter le moindre mouvement des traits du visage. L’air de rien, l’artiste sème dans l'oeuvre des éléments de décor – un panier à linge, un instrument de musique, une chaise à têtes de lion, une fenêtre ouverte (souvent), une carafe de vin (fréquemment), une mappemonde accrochée au mur - qui viennent davantage jeter le trouble dans nos esprits, enrubanner la scène d’effluves de mystère et lui conférer une profondeur insoupçonnée.
La leçon de musique nous déroute à plus d'un titre. A priori, une scène quelconque, comme le titre d’ailleurs cherche à nous le faire croire. Nous observons un professeur de musique, plutôt séduisant et élégant, donnant des cours à une jeune élève. Curieusement, Vermeer choisit de situer l'action très loin de nous en créant un champ en profondeur par le dallage au sol, l’alignement des fenêtres et la vue sur les poutres du plafond. Non content de marquer cet éloignement sur le plan architectural, il multiple les obstacles dans l'espace nous séparant des deux protagonistes : une table recouverte par un tapis somptueux, une chaise, une viole de gambe au sol. L'artiste ne veut sans doute pas que l'on entende les échanges entre le maître et l'élève. Par ailleurs, comment faut-il comprendre cette carafe de vin, à la blancheur opaline, posée bien en évidence sur la table, à hauteur des yeux ? Une simple allégorie de l'ivresse musicale ? amoureuse ? ou de celle, bien réelle, qui va peut-être suivre ? Le couvercle du clavecin comporte en inscriptions latines cette belle formule : "La musique, compagne de joie, médecine de la douleur." Mais fait curieux entre tous : l'artiste a cru bon de s'inviter dans la pièce. Nous apercevons effectivement le pied de son chevalet dans le miroir accroché sur le mur en face. Une relation triangulaire est ainsi instaurée : l'artiste regardant les deux acteurs, le maître observant son élève, et celle-ci apercevant le peintre dans le miroir.
A la lumière ou plutôt à l'obscurité de tous ces éléments, on peut se demander s'il s'agit toujours d'une leçon de musique ou si l'on n'assiste pas à un duo musical, ou encore à une scène amoureuse. Voire même les trois à la fois. Qui sait ?

dimanche 2 décembre 2012

Hemen Mazumdar : Le voyeur en nous


Vanité blessée

Que s'est-il passé ? Pourquoi cette beauté est-elle en pleurs ? Les fleurs blanches tombées à ses pieds nous livrent quelques indiscrétions sur la cause de son accablement : l'amour s'en est allé.
Mais, qui est-elle ? Une épouse abandonnée par son mari ? Une maîtresse repoussée par son amant ? Une amoureuse délaissée par son cher et tendre ?
Le portrait en pied, par son cadrage serré, par l'absence de tout élément de décor, positionne le spectateur dans une proximité immédiate et ambiguë par rapport au personnage. On se retrouve de plain-pied dans la même pièce que la jeune femme, tout près d'elle, à seulement quelques pas derrière. On se voit tiraillé entre l'envie de rester là, sans faire de bruit, à scruter secrètement la scène et celle de nous dévoiler pour porter assistance à la belle éplorée, notre sens de la charité attisé à l'idée de nous faire valoir auprès d'une telle beauté. Car, il faut avouer que le spectacle ne manque pas de piquant. La jeune femme dégage une sensualité troublante. A demi-dévêtue, son dos aux nuances délicates contraste avec les tons sombres du mur et attire irrésistiblement notre regard qui s'attarde alors, fasciné, sur sa peau douce et veloutée. Il se glisse ensuite vers les courbes voluptueuses que l'on voit se dessiner sous le sari violet aux reflets satinés envoûtants et bordé d'un liséré doré. Pénombre et silence règnent dans la chambre, entrecoupés seulement par les sanglots sourds de la malheureuse.

Barsha
Vanité blessée démontre avec éclat le talent de Hemen Mazumdar dans le rendu des textures et dans l'évocation d'une atmosphère empreinte d'érotisme et de voyeurisme.
L'artiste s'est toujours complu à montrer les femmes dans des cadres intimistes ou des situations dramatiques qui intriguent le spectateur, titillent sa curiosité, interpellent son imagination, et font de lui le voyeur de leurs états-d'âme à des moments et des lieux où elles pensent être seules, à l'abri des regards indiscrets. Nous les observons à leur insu, perdues dans leurs pensées, l'air songeur, le regard habité par une certaine tristesse ou mélancolie, se mirant dans l'eau ou occupées à des tâches domestiques dans une attitude ou dans une tenue vestimentaire qui met nos sens en émoi.

La boucle d'oreille

Les informations biographiques dont nous disposons sur Hemen Mazumdar sont rares. Il semble avoir vécu une vie tranquille, sans éclats ni rebondissements. Il naquit en 1894 dans le village de Gachihata, dans l'actuel Bangladesh. Après des études d'art à Calcutta, chaotiques et vite abandonnées, il se perfectionna en autodidacte à la peinture, en reproduisant les oeuvres des maîtres français et hollandais. Mazumdar fit de la peinture à l'huile son instrument de prédilection. Il restera toute sa vie attaché à cette technique pour laquelle il passe d'ailleurs pour un pionnier en Inde.

Mazumdar acquit une grande célébrité pour ses tableaux érotiques montrant de ravissantes créatures à moitié nues ou en sari mouillé, les pans du tissu collant à leur peau et révélant les formes galbées de leur corps. Pour accentuer le caractère sensuel de ses figures féminines, l'artiste leur conférait une aura de mystère. Il les représentait avec une pointe de tristesse et de rêverie dans les yeux, solitaires, marchant d'un pas gracieux à l'orée des bois ténébreux, une cruche d'eau en étain dans le creux des reins, ou debout telle une nymphe sur les marches d'un bassin, le clair de lune jouant avec les eaux, ou encore dans l'intimité silencieuse d'une chambre.

Par leur veine romantique, les toiles de Mazumdar furent critiquées par les tenants du courant réaliste de l'Ecole de Bengale qui s'efforçaient de produire un art proprement indien qui soit le reflet des problématiques sociales du pays. En dépit de ces attaques, l'oeuvre de Mazumdar fut largement plébiscitée par le peuple comme par les artistes. Ses tableaux lui attirèrent particulièrement les faveurs des maharadjahs de Jaipur, Bikaner, Cachemire, et d'autres états princiers, qui grands amateurs de sexe faible et de belles mécaniques, lui ouvrirent les portes de leurs palais et lui proposèrent leur mécénat. Sa femme, que l'on disait extrêmement belle, fit office de modèles pour bon nombre de ses portraits. L'artiste consacra les dernières années de sa vie à peindre des scènes de la vie rurale du Bengale avec un réalisme puissant, probablement pour échapper aux commandes routinières des portraits de beautés féminines qui affluaient de toutes parts. Hemen Mazumdar s'éteignit en 1948.
Femme portant une cruche

Etude de nu





Baigneuse

Sans titre


Etude de Mlle Shelly Gupta

Sindbad PUZZLE à l'Institut du Monde Arabe




Les puzzles Sindbad sont désormais disponibles à la vente à la librairie-boutique de l'Institut du Monde Arabe à Paris. Cette boutique par sa richesse (livres, CD, DVD, carterie, artisanat...) est un lieu de ressources incontournable pour toute personne désireuse de découvrir le monde arabe dans toute sa diversité culturelle et historique.
La boutique est ouverte tous les jours sauf le lundi de 10h à 19h.

Mille et une Nuits à l'Institut du Monde Arabe





Du 27 novembre au 28 avril 2013, l'Institut du Monde Arabe à Paris présente une exposition unique et exceptionnelle sur ce recueil d'histoires fabuleuses que constituent les Mille et une Nuits.

Cliquez sur le lien ci-dessous pour être dirigé sur la page de l'exposition de l'Institut du Monde Arabe :