La leçon de musique, vers 1664 |
Étrange tableau, comme tous les autres d'ailleurs de Vermeer (m. en 1675), aussi énigmatique que l'artiste lui-même. Mis à part deux tableaux de paysages, tous les autres nous montrent des personnages, seuls ou en duo, dans des intérieurs proprets et sereins, dans l'intimité d'une chambre ou d'une autre pièce de la maison. Ils sont observés, en silence, à leur insu, par un spectateur tapi dans l'ombre, derrière un rideau, ou dont la présence passe tout simplement inaperçu par les acteurs tant ils sont absorbés dans une lecture, une écriture, une conversation, une activité domestique, musicale ou scientifique.
Les scènes nous déconcertent par leur banalité même. On s’interroge sur l'intérêt d'une mise en scène aussi anodine, sur son sens, sa signification. On reste là, à admirer la beauté d'une lumière miraculeuse imprégnant l'oeuvre d'une splendeur surnaturelle, les drapés splendides des robes, la douceur des visages, les échanges de regard. On se sent possédé par un charme envoûtant émanant de la composition. On se surprend à élaborer des scénarios, à émettre des hypothèses, à se lancer dans des conjectures sur la nature réelle des relations entre les protagonistes ou leurs intentions cachées. On tend l'oreille pour mieux entendre les conversations. On écarquille des yeux pour scruter le moindre mouvement des traits du visage. L’air de rien, l’artiste sème dans l'oeuvre des éléments de décor – un panier à linge, un instrument de musique, une chaise à têtes de lion, une fenêtre ouverte (souvent), une carafe de vin (fréquemment), une mappemonde accrochée au mur - qui viennent davantage jeter le trouble dans nos esprits, enrubanner la scène d’effluves de mystère et lui conférer une profondeur insoupçonnée.
La leçon de musique nous déroute à plus d'un titre. A priori, une scène quelconque, comme le titre d’ailleurs cherche à nous le faire croire. Nous observons un professeur de musique, plutôt séduisant et élégant, donnant des cours à une jeune élève. Curieusement, Vermeer choisit de situer l'action très loin de nous en créant un champ en profondeur par le dallage au sol, l’alignement des fenêtres et la vue sur les poutres du plafond. Non content de marquer cet éloignement sur le plan architectural, il multiple les obstacles dans l'espace nous séparant des deux protagonistes : une table recouverte par un tapis somptueux, une chaise, une viole de gambe au sol. L'artiste ne veut sans doute pas que l'on entende les échanges entre le maître et l'élève. Par ailleurs, comment faut-il comprendre cette carafe de vin, à la blancheur opaline, posée bien en évidence sur la table, à hauteur des yeux ? Une simple allégorie de l'ivresse musicale ? amoureuse ? ou de celle, bien réelle, qui va peut-être suivre ? Le couvercle du clavecin comporte en inscriptions latines cette belle formule : "La musique, compagne de joie, médecine de la douleur." Mais fait curieux entre tous : l'artiste a cru bon de s'inviter dans la pièce. Nous apercevons effectivement le pied de son chevalet dans le miroir accroché sur le mur en face. Une relation triangulaire est ainsi instaurée : l'artiste regardant les deux acteurs, le maître observant son élève, et celle-ci apercevant le peintre dans le miroir.
A la lumière ou plutôt à l'obscurité de tous ces éléments, on peut se demander s'il s'agit toujours d'une leçon de musique ou si l'on n'assiste pas à un duo musical, ou encore à une scène amoureuse. Voire même les trois à la fois. Qui sait ?
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