"Vivant au XXe siècle, Mohammed Racim ne pouvait faire complète abstraction de l'art pictural d'Occident élaboré depuis la Renaissance, sous peine de verser dans le pastiche et la fausse naïveté. Il ne pouvait notamment oublier les lois de la perspective, que les miniaturistes persans ont ignorées. Il lui fallait trouver, dans les compositions où l'architecture intervenient, des artifices qui rendissent la perspective sous-jacente sans l'imposer à notre attention. En plaçant l'horizon très haut et le point de fuite dans l'axe, en rappelant la convergence des lignes horizontales par les corniches des maisons, par le pavage d'une cour ou les tapis d'une salle, il introduit dans la composition une frontalité et une symétrie qui en affirment le caractère monumental. Ajoutez à cela une répartition des masse qui n'admet aucun grand espace vide, vous sentirez toute la valeur décorative des miniatures qui, considérablement agrandies, fourniraient de splendides cartons de tapisseries.
Alors que les Persans se sont presque abstenus de tout modelé, Racim n'a pas cru pouvoir s'en passer ; mais cette ombre légère suivant intérieurement le contour d'un visage, creusant les plis d'une étoffe ou les pétales d'une fleur, ne va pas jusqu'à défoncer les surfaces ou compromettre par son opacité la délicatesse des tons.
Sans se croire tenu de ne représenter, comme les Persan, les gens et les choses que baignés par la sérénité du plein jour, il lui arrive de peindre le coucher du soleil o la nuit, de faire jouer les reflets du soir sur les vagues de la baie d'Alger ou de répandre la clarté de la lune de Ramadhan sur les terrasses de la ville.
Par l'emploi du clair-obscur, par le modelé de la figure humaine et des animaux, par la représentation des heures de la journée, l'art de Racim s'apparente à celui des Indo-Persans. Ceux-ci, vis-à-vis des Persans, dont ils sont les disciples se trouvent, par une conjoncture fortuite, dans une situation comparable à celle du miniaturiste algérien. Le rôle d'art sacré que joue chez eux la statuaire, inconnue de l'Iran, et d'autre part, les rapports fréquents que l'Inde entretenait avec l'Europe, ont contribué à rapprocher leur peinture de la nôtre, Mohammed Racim a spontanément évolué dans le même sens.
De même au reste que les peintres des rois Mongols, il s'est évadé de la tutelle iranienne en cherchant son inspiration dans le monde qui était le sien. Ses paysages favoris, c'est la façade maritime de la Cité des Corsaires, le triangle clair des maisons étalé sur la pente sombre, que parsème la blacheur des villas ; ce sont les collines ondulées du Sahel, qui lui fournissent des fonds de tableaux. Les scènes qu'il compose sont empruntées aux temps héroïques de la Course, dont le souvenir n'est pas complètement perdu et qu'il a replacées dans leur cadre ; ce sont les fêtes de mariages auxquelles il assistait avec son père ou des réunions intimes de femmes, dont il était le témoin dans sa petite enfance. Le monde de Racim, c'est l'Algérie d'heir, à laquelle il est sentimentalement attaché, qu'il comprend mieux que personne et dont il a su, grâce à son art exquis, exprimer tout le charme."
Georges Marçais, La vie musulmane d'hier vue par Mohammed Racim, Paris