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Bramachari |
Amrita Sher-Gil est une figure iconique de l'art indien. Elle fait partie de ces artistes, au talent insolent, qui en quelques années
parviennent au sommet de leur créativité, puis disparaissent emportés par une
mort brutale qui les fait entrer directement dans la légende.
Belle, douée, excentrique, elle scandalisa la société
anglaise guindée de Simla par sa vie émancipée, ses frasques amoureuses, sa
bisexualité, son attachement à peindre le petit peuple de l'Inde. Même sa mort
prématurée, à l'âge de 28 ans, est entourée d'une odeur sulfureuse : elle aurait
perdu la vie des suites d'un avortement bâclé réalisé pour camoufler une
grossesse illégitime.
Amrita Sher-Gil naquit à Budapest en 1913, d'un père
aristocrate sikh et d'une mère hongroise. Elle partagera son enfance et son
adolescence entre l'Inde et les capitales européennes où grâce à sa mère,
cantatrice, elle fréquentera les milieux artistiques. Elle fera ses études
supérieures aux Beaux-Arts de Paris, mènera une vie de bohème et s'enthousiasmera pour le fauvisme. Elle
éprouvera une fascination particulière pour Gauguin, dont on retrouvera dans
son œuvre à venir ces larges aplats de couleurs vives caractéristiques des
tableaux peints par le grand artiste en Polynésie.
Après son cursus, Amrita, âgé de 21 ans, s'installera
définitivement en Inde où elle sent que l'attend sa vocation de peintre. Elle
sillonnera intensivement le pays de long en large pour s'imprégner de son passé
artistique et découvrira, bouleversée, les fresques d'Ajanta et de Cochin. Elle
observera avec une attention particulière la population et décrira l'Inde comme
un pays "plein de corps sombres, de
visages tristes, d'hommes à la maigreur effrayante et de femmes se déplaçant
silencieusement comme de vagues silhouettes." Elle se fera un devoir de
chercher "à interpréter la vie des indiens, particulièrement des plus
pauvres et de reproduire sur ses toiles ces incarnations d'une soumission et
d'une patience infinies."
A son retour à Simla, Amrita va se jeter à corps perdu dans
la peinture et dans les mondanités, brûlant sa vie par les deux bouts. Elle va
recouvrir ses toiles de tous ces personnages croisés au fil de ses
pérégrinations : paysans, conteurs, ménestrels, diseurs de bonne aventure,
vagabonds, chameliers, religieux qu'elle croquera dans des scènes rurales, villageoises
ou domestiques. En quelques années, elle va réaliser une quantité
impressionnante de tableaux, enrichir son tableau de chasse de conquêtes
masculines - on prétendait qu'elle recevait jusqu'à trois ou quatre amants par
jour à son domicile à intervalle de toutes les deux heures - , se marier avec
un cousin de Hongrie contre l'approbation de ses parents, devenir une habituée des fêtes somptueuses
données par la jet-set de Simla...
Dans le nombre phénoménal de tableaux
exécutés par l'artiste, force est de constater que certains nous laissent une
impression de précipitation et d’inachevé. Mais dans ses meilleures peintures,
Amrita laisse éclater sa palette unique de couleurs, avec notamment ce
rouge-ocre saturé ou ce blanc fascinant, qui combinés à une composition aux
formes dépouillées et tournées vers l'abstraction, donnent naissance aux
premières œuvres modernes de l'histoire artistique indienne. Et, on n'hésite
pas à parler de chefs-d’œuvre pour ces admirables toiles que sont Brahmachari, Toilette de la mariée ou Femme couchée sur un charpoy dont les
scènes représentées, aussi anodines soient-elles, atteignent une telle puissance d'évocation par l'aura de
mystère et de charme envoûtant qui s’en dégage, qu'elles transcendent leur
banalité pour se hisser au niveau de drames et de tragédies antiques. Comme
Gauguin, Amrita employait les couleurs non pour représenter la réalité mais comme les expressions visuelles de la charge émotionnelle contenue
dans les personnages ou celle dégagée par les lieux.
L'oeuvre de Amrita Sher-Gil a été décrétée "trésor
national" par le gouvernement indien dans les années 70 avec interdiction
de vendre ses tableaux à l'étranger. Cet honneur a paradoxalement conduit à un
effacement d'Amrita Sher-Gil de la scène artistique, ses œuvres échappant à
toute velléité spéculative sur le marché de l’art international. Depuis peu,
les choses changent avec l’émergence de toute une classe de nouveaux riches en
Inde investissant dans l’art contemporain. En 2006, le tableau "Scène de village" fut vendu aux enchères à un prix record de 1,6 million de dollars, une somme jamais atteinte pour aucune autre toile d'un artiste indien. Cette vente contribua à tourner à nouveau les projecteurs sur
Amrita. Une biographie, particulièrement détaillée, par l'historienne Y. Dalmia fut publiée durant la même année. L’auteur s’efforce de nous montrer à quel point, par delà son
image glamour, Amrita fut une artiste engagée qui s’efforça constamment par son
œuvre de réduire le fossé séparant la nouvelle classe indienne éduquée en
Occident de l’immense majorité pauvre qui l’entourait.
Dans cet engagement envers le peuple indien, il faut
sans doute voir un sentiment de reconnaissance que Amrita devait éprouver envers le pays qui fut à la base de l’épanouissement de son art, comme elle l'écrivit dans une de ses lettres : «
Dès
que j’ai posé mon pied sur le sol indien, ma peinture a subi un changement non
seulement dans les sujets traités et l’esprit mais également dans la technique. » Amrita Sher-Gil mourut en 1941 à Lahore.
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Groupe de village, 1938 |
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Toilette de la mariée, 1937 |
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Femmes des montagnes, 1935 |
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Chameaux, 1935 |
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Trois filles, 1937 |
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Le vieux conteur |
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Villageois du sud de l'Inde allant au marché, 1937 |
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Femme sur un charpoy |
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Autoportrait en tahitienne, 1934 |
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Amrita Sher-Gil |