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Colombier, Estampe. On relèvera la maîtrise de Haren Das dans le jeu subtil de la lumière et de l'ombre, dans la palette des couleurs avec ces teintes allant en s'adoucissant, pour parvenir à créer un champ de profondeur dans l'image |
Le soir tombe. Le repas
mijote doucement sur le feu. Un enfant, assis par terre, les jambes ramenées
contre son corps, la tête reposant sur les genoux, observe distraitement sa
mère qui s’affaire à la préparation du dîner. Dans une case voisine, on entend les pleurs d’un enfant. Les hommes rentrent des champs ou de la mer. Une troupe de théâtre itinérante improvise une estrade sur la place du village. Une épicerie de fortune, située à la lisière du
village, allume ses lampes à pétrole au milieu des ténèbres enveloppantes.
Regarder les œuvres de Haren Das, c'est pénétrer au cœur des villages du Bengale, parcourir des paysages sereins, partir de bon matin aux labours ou au large en compagnie des hommes, s’asseoir le soir venu autour du feu pour une veillée d'histoires... L'artiste nous introduit sans bruit dans le quotidien des hommes et des femmes, parmi les plus humbles de la terre : des paysans, des pêcheurs, des sans-abri, des villageois, tous croqués sur le vif, dans des scènes pastorales, marines, ou domestiques. Les vignettes de Haren Das fixent des moments en apparence insignifiants. Il ne se passe. Le temps semble suspendu, n'ose plus avancer, sinon à pas feutrés, sans se faire remarquer. La vie s'écoule, paisible et douce, sans artifices ni complications, dans la répétition rassurante des traditions ancestrales. Dans cette évocation nostalgique d'une Bengale rurale, il faut sans doute voir l'empreinte qu'à pu laisser sur l'artiste le petit village agreste de Dinajpur où il naquit en 1921 et passa son enfance.
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Pêcheurs partant en mer, Estampe. Hokusai ? Hiroshige ? Non. Haren Das |
A travers les vignettes de la vie ordinaire, Haren Das nous initie à l'esthétique du quotidien. Il nous ouvre les yeux sur ces petits riens de la vie qui forment un chapelet de rituels que l'on égrène négligemment sans percevoir la beauté ineffable dont ils sont investis. Pour Haren Das, la vie humaine, même dans sa banalité la plus plate, s'inscrit dans le merveilleux, le miraculeux, le sacré. Le spectateur est invité à la contempler à travers les actes familiers qui sont autant de dons divins dont l'accomplissement relève d'une offrande que l'homme adresse inconsciemment à la divinité.
Dans les années 1940-50, lors de la lutte pour l'indépendance et des réformes économiques, Haren Das fut
violemment critiqué par certains artistes qui l'accusèrent de dépeindre un monde rural idyllique, naïf, exotique, sans se préoccuper des problèmes endémiques de la paysannerie : emprise de la féodalité sur les fermiers, misère, exode
rurale…
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Troupe de théâtre itinérante au village |
Malgré ces attaques, Haren Das poursuivra, sans fléchir, dans la représentation de ses thèmes de
prédilection. Il fut un
artiste moins conventionnel que son œuvre pourrait nous laisser croire. Sous une apparence placide, l'homme devait posséder une grande force de caractère. Dès son jeune âge, à
contre-courant de ses camarades de l'école des Beaux-Arts de Kolkota qui choisirent la voie royale de la peinture, Haren Das se tournera vers des techniques graphiques tombées en désuétude ou considérées comme archaïques : la gravure sur bois, la lithographie,
l’eau-forte ou l’aquatinte. Toute sa vie, il restera fidèle à ces formes d’expression, devenant même dans les
années 1950-60, l’un des rares artistes indiens à pratiquer la gravure sur
bois. Il atteindra un tel niveau de maîtrise dans ce domaine que ses estampes seront comparées aux plus grands chefs-d’œuvre de Hokusai ou de Hiroshige. Grâce à sa notoriété, son entêtement, son militantisme en faveur de ces arts graphiques, il parviendra à leur redonner un souffle nouveau. En tant qu'enseignant à l'école des Beaux-Arts du Bengale, il mettra à profit son statut pour introduire leur apprentissage dans le cursus universitaire des étudiants.
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Nénuphars |
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