Reliure du Khamsa de Nezami, Gouache sur cuir laqué, Ecole moghole, vers 1590, Lahore |
"Le manuscrit du Khamsa de Nezâmi (m. vers 1208) appartient à la dernière époque du long règne de l'empereur Akbar ; il a été réalisé après le départ de la cour en 1585 de Fathpûr pour Lahore. Ce n'est pas le premier exemplaire des «Cinq Poèmes» de Nizâmï commandé par ce souverain si passionné de livres et qui avait appris lui-même l'art de la miniature.
L'excécution des peintures a été demandée au fameux Khwâja Abd al-Samad et à vingt peintres hindous (dont les noms ont été notés par l'un des bibliothécaires impériaux en dessous des peintures), auxquels il faut peut-être ajouter un vingt-et-unième artiste dont le nom serait à lire Lâqï ou Malâqi (?) et qui aurait peint les visages des personnages au folio 165 verso. La peinture du folio 65 est aussi l'œuvre de plusieurs artistes, dont l'un, Dhanrâj, a peint les visages. Cette pratique est ancienne dans la peinture persane et l'on en trouve un exemple dans le manuscrit Supplément persan 985 de la Bibliothèque nationale de France (Bukhara, 1540), où une peinture est signée de trois artistes, dont l'un est lui aussi le peintre des visages (chihra).
Pour sa part, l'enluminure de la Khamsa d'Akbar a été réalisée par Khwàja Jân Naqqâsh qui a signé deux des frontispices enluminés. Un des frontispices s'orne de deux magnifiques figures de l'oiseau sîmurgh.
Dans son état actuel le manuscrit compte 325 feuillets. La totalité du texte a été calligraphiée entre 1593 et 1595 à Lahore par le très fameux maître Abdal-Rahïm Kâtib Haravï, surnommé «calame d'ambre» ('anbarin-qalam). Une des enluminures porte la date de 1595 ou 1596. L'ensemble des peintures peut être daté de cette période, à l'exception de la très célèbre peinture ajoutée au dernier feuillet entre 1611 et 1620, sous le règne de Jahângïr. Celle-ci, qui entoure le colophon, est l'œuvre du peintre Dawlat et représente le fameux calligraphe au travail en présence du peintre, qui, bien que n'ayant pas participé à l'illustration de la Khamsa, a réalisé ici son autoportrait, avec entre les mains l'une de ses œuvres.
A l'origine, avant que certains feuillets ne soient retirés du manuscrit, cette Khamsa était illustrée de 44 peintures - exception faite de la scène finale - et parmi celles-ci il y en avait quatre pour accompagner le texte du Makhzan al-Asrâr, onze pour l'histoire de Chosroès et de Shïrïn, sept pour celle de Laylâ et Majnûn et quatre pour les Haft Paykar, un texte qui est d'ordinaire beaucoup plus abondamment illustré. Ici, c'est en revanche l’Iskandar-nâma, dernier des cinq poèmes de Nizâmï, qui se trouve particulièrement privilégié et comporte 15 peintures.
Le programme d'illustration demandé aux peintres de cette Khamsa mérite qu'on s'y arrête. Parmi les scènes représentées, il en est certes qui appartiennent au répertoire traditionnel des manuscrits de Nizâmï, comme la rencontre de Sanjar et de la vieille femme, par La'l, ou beaucoup des scènes du Khusraw et Shïrïn, ou encore le cycle de Majnûn (avec une insistance particulière sur les scènes montrant un tombeau - il y en a trois dans le manuscrit). On observe d'ailleurs que Majnûn, tel qu'il est représenté dans le manuscrit, se retrouve dans la peinture moghole tardive, ce manuscrit ayant pu servir de modèle pour les artistes indiens. Mais à côté de toutes les scènes habituelles dans les Khamsa iraniennes, traitées ici à la manière de l'école akbarienne de la fin du XVIe siècle, on trouve des scènes extrêmement originales, parmi lesquelles le roi emporté par un oiseau (œuvre de Dharmdâs), la princesse réalisant son autoportrait (par Jaganâth), ou la double peinture qui représente Iskandar en train de contempler des artisans fabricant les premiers miroirs (par Nânhâ). Une autre peinture exceptionnelle est celle où l'on voit Mânï en train de peindre l'image d'un chien écorché (œuvres de Sûr Gujarâtï). Très célèbre est la représentation de Khizr baignant le cheval d'Iskandar dans la fontaine de Vie (par Kanak Singh Chela). On peut encore signaler l'image de Mâriya et des prétendus alchimistes (par Sânvala), ou de Platon jouant de l'orgue pour charmer les animaux (par Maddû). Avec d'autres scènes comme la peinture de Gujarâtï (Iskandar et sa caravane parmi les pierres de toutes couleurs) ou celles de Mukund et de La'l qui montrent Iskandar et la prêtresse de Qandahar qui veut qu'on épargne l'idole, c'est la geste d'Alexandre qui a donné lieu au plus grand nombre de créations originales.
Barbara Brend [1] montre quelles ont pu être les préoccupations d'Akbar en commandant les peintures de cette Khamsa : une attention spéciale au thème de la royauté et de son exercice ; l'intégration des influences européennes dans la représentation du monde indien; la représentation de sculptures hindoues ; le souvenir de sa clémence à Qandahar ; celui de ses victoires au Rajasthan. Les représentations de personnages réels ne sont pas absentes du manuscrit : Akbar lui-même au milieu des musiciens, dans la peinture de Miskïna ou encore le musicien qui pourrait être 'Ali Khan Karori ou plus vraisemblablement Misri Singh"
Source : Francis Richard, in Revue Persée
[1] Barbara Brend, auteur de The Emperor Akbar's Khamsa of Nizami, Londres
Mani peignant un chien écorché, vers 1590, Lahore |
Alexandre le Grand observant la fabrication des miroirs, page de gauche, vers 1590, Lahore |
Alexandre le Grand observant la fabrication des mirroirs, page de droite, vers 1590, Lahore |
Calligraphie de Ambarin Qalam, vers 1590, Lahore |
Collophon montrant le peintre Dawlat (à gauche) et le fameux calligraphe Ambarin Qalam (Calame d'ambre), début XVIIe siècle, Ecole moghole |
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