Nocturne en bleu et argent, 18726-1873 |
"Presque en même temps à l'Exposition internationale de la rue de Sèze, il [Whistler] exhibe ses toiles fameuses à Londres, ses paysages de songes, son délicieux "Nocturne en argent et bleu" où monte dans l'azur une ville bâtie sur une rive ; son "Nocturne en noir et or" où des feux d'artifice crèvent de baguettes sanglantes et parsèment d'étoiles les ténèbres d'une épaisse nuit ; enfin son "Nocturne en bleu et or" représentant une vue de la Tamise au-dessus de laquelle, dans une féerique brûme, une lune d'or éclaire de ses pâles rayons l'indistincte forme des vaisseaux endormis à l'ancre."
Nocturne en noir et or. La fusée qui retombe, vers 1874 |
"Inévitablement, l'on songeait aux vision de Quincey, à ces fuites de rivières, à ces rêves fluides que détermine l'opium. Dans leur cadre d'or blême, vermicelles de bleu turquoise et piquetés d'argent, ces sites d'atmosphère et d'eau s'étendaient à l'infini, suggéraient des dodinements de pensées, transportaient sur des véhicules magiques dans des temps irrévolus, dans des limbes. C'était loin de la vie moderne, loin de tout, aux confins de la peinture qui semblait s'évaporer en d'invisibles fumées de couleurs, sur ces légères toiles.[...]
[...] C'étaient des horizons voilés, entrevus dans un autre monde, des crépuscules noyés de pluies tièdes, des brouillards de rivière, des envolées de brume bleue, tout un spectacle de nature indécise, de villes flottantes, de languissants estuaires, brouillés dans un jour confus de songe ; c'était en dehors de l'art contemporain, une peinture convalescente, exquise, toute personnelle, toute neuve, "la peinture des fluides", que ce visionnaire s'est essayé de rendre, même dans ses précieuses eaux-fortes, où, il éparpille des monuments, des cités, illimite l'espace, projette des sensations de lointains, uniques."
Nocturne en bleu et or. Vieux pont de Battersea, 1870 |
"Artiste extralucide, dégageant du réel le suprasensible, M. Whistler me fait songer avec ses paysages à plusieurs poésies d'une douceur murmurante et câline, comme confessée, comme frôlée, de M. Verlaine. Il évoque, ainsi que lui, à certains instants, de subtiles suggestions et berce à d'autres, de même qu'une incantation dont l'occulte sortilège échappe. M. Verlaine est évidemment allé aux confins de la poésie, là où elle s'évapore complètement et où l'art du musicien commence. M. Whistler, dans ses harmonies de nuances, passe presque la frontière de la peinture ; il entre dans le pays des lettres, et s'avance sur les mélancoliques rives où les pâles fleurs de M. Verlaine poussent."
Nocturne en gris et or. Neige à Chelsea, 1876 |
"M. Whistler définit ainsi, dans son "Ten o'clock" traduit par M. Stéphane Mallarmé, l'art tel qu'il le conçoit : "C'est, dit-il, une divinité d'essence délicate, tout en retrait." - Et ce sera sa gloire, comme ce sera celle des quelqu'uns qui auront méprisé le goût du public, que d'avoir aristocratiquement pratiqué cet art réfractaire aux idées communes, cet art s'effaçant des cohues, cet art résolument solitaire, hautement secret."
Source : "Ecrits sur l'art", J. K. Huysmans, GF
Source : "Ecrits sur l'art", J. K. Huysmans, GF
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